Annexes

Quelques fêtes juives

La Pâque juive ou Pessa’h commémore le jour de l’Exode hors d’Égypte.

Pourim célèbre les événements relatés dans le Livre d’Esther. L’action du Livre a pour cadre la cour de l’empereur perse Xerxès Ier et la communauté juive exilée*. Esther, tout en dissimulant dans un premier temps sa judéité, devint reine peu de temps avant que son cousin également de confession juive ait refusé de se prosterner devant le roi. Ce qui poussa le premier ministre du souverain à publier un décret d’extermination de tous les juifs de l’Empire. Aussi étincelante que l’« étoile dans la nuit », Esther ne put rester sans réaction devant le désastre à venir, et alla trouver son mari « au péril de sa vie » pour, d’une part, lui dévoiler son identité juive et de l’autre lui faire abroger cette loi antijuive qui menaçait les siens. D’une grande piété et patriote insatiable, notre héroïne obtiendra de Xerxès que son peuple puisse se venger de ses ennemis en massacrant « soixante-quinze mille de ceux qui leur étaient hostiles » Est IX, 16.

Hanoucca commémore la victoire des Maccabées, du nom de cette famille juive qui mena une guerre sainte contre la politique d’hellénisation forcée de la Judée au IIe siècle avant notre ère. À l’image du Livre de Judith (apocryphe pour les protestants) et de celui de Daniel, le Livre d’Esther est une retombée littéraire de l’épopée des Maccabées, plutôt favorable à la résistance armée.

Fêtes chrétiennes

Noël : la date du 25 décembre a été arbitrairement imposé au IVe siècle, comme date de naissance de J-C, dans le but de la substituer aux fêtes païennes comme le solstice d’hiver et les saturnales romaines, qui avaient toutes lieu à cette période.

L’épiphanie ou Théophanie (6 janvier) célèbre le Messie qui reçoit la visite et l’hommage des rois mages. Pose ta galette !

Le Carême (du latin quadragesima, « quarantième ») consiste en quarante jours de jeûne ou d’abstinence avant les fêtes de Pâques. Bien qu’il soit une des plus anciennes pratiques commémoratives du christianisme, le carême de nos jours n’est plus observé que par de vieilles bigotes.

Pâques commémore la résurrection, que le NT situe le surlendemain de la passion, c’est-à-dire le « troisième jour ». Allez savoir pourquoi, mais Pâques tombe systématiquement un dimanche…

L’Ascension se situe quarante jours après Pâques et fête « l’enlèvement au ciel » de J-C, autrement dit sa dernière présence physique – lors de son mandat de ressuscité – sur Terre. Ne vous inquiétez pas, il ne devrait pas tarder à revenir !

La Pentecôte (du grec pentêkostề, « cinquantième ») célèbre la venue du Saint-Esprit sur les apôtres, cinquante jours après Pâques.

L’Assomption : dogme catholique correspondant à l’ascension de Marie au ciel (sans que le NT ne mentionne à aucun moment la fin de Marie), un fameux 15 août. « Pluie d’Assomption, pluie de couillons ! »

La Toussaint commémore les fidèles défunts, les martyrs et les saints. « émeutes à la Toussaint, Noël pour les larcins ! »

Index des livres

Il existe plusieurs manières de classer les livres de l’Ancien Testament. L’ordre donné ici est celui de la TOB (Traduction œcuménique de la Bible, commune aux catholiques et aux protestants).

L’Ancien Testament

  • Les livres prophétiques
    • Josué / Jos
    • Juges / Jg
    • 1. Samuel / 1 S
    • 2. Samuel / 2 S
    • 1. Rois / 1 R
    • 2. Rois / 2 R
    • Isaïe / Is
    • Jérémie / Jr
    • Ézéchiel / éz
    • Osée /  Os
    • Joël / Jl
    • Amos / Am
    • Abdias / Ab
    • Jonas / Jon
    • Michée / Mi
    • Nahum / Na
    • Habaquq / Ha
    • Sophonie / So
    • Aggée / Ag
    • Zacharie / Za
    • Malachie / Ml
  • Le Pentateuque
    • Genèse / Gn
    • Exode / Ex
    • Lévitique / Lv
    • Nombres / Nb
    • Deutéronome / Dt
  • Autres écrits
    • Psaumes / Ps
    • Job / Jb
    • Proverbes / Pr
    • Ruth / Rt
    • Cantique des Cantiques / Ct
    • Qohélet ou Ecclésiaste / Qo
    • Lamentations / Lm
    • Esther / Est
    • Daniel / Dn
    • Esdras / Esd
    • Néhémie / Ne
    • 1 Chroniques / 1 Ch
    • 2 Chroniques / 2 Ch
  • Les livres deutérocanoniques
    • Esther (grec) / Est gr.
      (uniquement reconnu par les catholiques)
    • Judith / Jdt
    • Tobie / Tb0
    • 1 Macchabées / 1 M
    • 2 Macchabées / 2 M
    • Sagesse / Sg
    • Siracide / Si
    • Baruch / Ba

Le Nouveau Testament

  • Vie de Jésus et de ses disciples
    • Matthieu / Mt
    • Marc / Mc
    • Luc / Lc
    • Jean / Jn
    • Actes des apôtres / Ac
  • Les lettres de Paul
    • Romains / Rm
    • 1 Corinthiens / 1 Co
    • 2 Corinthiens / 2 Co
    • Galates / Ga
    • Éphésiens / ép
    • Philippiens / Ph
    • Colossiens / Col
    • 1 Thessaloniciens / 1 Th
    • 2 Thessaloniciens / 2 Th
    • 1 Timothée / 1 Tm
    • 2 Timothée / 2 Ti
    • Tite / Tt
    • Philémon / Phm
  • Les lettres universelles
    • Hébreux / Hé
    • Jacques / Jc
    • 1 Pierre / 1 P
    • 2 Pierre / 2 P
    • 1 Jean / 1 Jn
    • 2 Jean / 2 Jn
    • 3 Jean / 3 Jn
    • Jude / Jd
  • La fin
    • Apocalypse / Ap

 

Bibliographie


La Bible, nouvelle traduction aux éditions Bayard.
La Bible, l’Originale, avec les mots d’aujourd’hui, Segond 21, éditée par la Maison de la Bible.
L’Essentiel de la Bible de Christine Terrenoir aux éditions Studyrama.
Évangiles apocryphes réunis et présentés par France Quéré aux éditions du Seuil.
Pour lire l’Ancien Testament d’Étienne Charpentier aux éditions du Cerf.
Le Zélote de Reza Aslan aux éditions Gallimard.
Qu’est-ce que l’islam ? de Rochdy Alili aux éditions de la Découverte.
Paul, l’apôtre qui « respirait le crime », Pulsions et Résurrections de Jean-Michel Hirt chez Actes sud.
Comment le peuple juif fut inventé ? De la Bible au sionisme de Shlomo Sand aux éditions Flammarion.
Quand notre monde est devenu chrétien (312 – 394) de Paul Veyne aux éditions Albin Michel.
La religion des seigneurs d’Éric Stemmelen aux éditions Michalon.
– Aux origines du christianisme, textes présentés par Pierre Geoltrain aux éditions Gallimard.


Histoire de Judas de Rabah Ameur-Zaimeche, 2015.
Corpus Christi, série documentaire de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur.
L’Origine du christianisme, série documentaire de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur.
L’Apocalypse, série documentaire de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur.
Jésus et l’Islam, série documentaire de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur.

Origines du Christianisme

Le Jugement Dernier selon un hérétiqueLe coup tordu des hellénistes

« Les incirconcis seront justes au moyen de la foi. »
Ro I, 30

Suite aux pérégrinations évangélisatrices de Paul et de ses acolytes sur le pourtour méditerranéen et l’apparition des premières communautés de fidèles dans la seconde moitié du Ier siècle, l’église primitive pose les premiers jalons de sa doctrine encore balbutiante mais qui n’allait pas tarder à rencontrer un succès inespéré.

Le christianisme naissant se heurtait à un problème d’ordre (an)historique autant que théologique concernant l’œuvre christique. Jésus-Christ, le facétieux, ne remplissait aucun des critères requis pour permettre de lui prêter la qualité de messie. En la matière, les croyances communément admises par la tradition juive sur la venue d’un sauveur ne pouvaient soutenir qu’un messie digne de ce nom puisse caner, trivialement crucifié, alors que le propre de son essence céleste aurait été de vivre et de triompher en instaurant une ère de paix et de bonheur éternels. Au lieu de quoi, l’imminence d’un monde meilleur transcendé par l’avènement du royaume de Dieu ne fut que promesse mensongère dans le clapet d’un Christ démagogue. Présage d’autant plus navrant quand on sait que les Romains, au cours des années 60 de notre ère, s’empareront de la Terre promise, détruiront Jérusalem et profaneront le Temple, le tout après avoir massacré ceux des juifs qui s’étaient révoltés contre la présence coloniale.

Usurpant à plus d’un titre la fonction messianique telle qu’elle est décrite dans les Écritures, Jésus ne pouvait susciter l’adhésion escomptée des juifs, finalement peu crédules face à l’Escroc de Dieu. En définitive, des stricts mosaïstes, il n’y aura guère que les douze apôtres pour assimiler Jésus au fils de Dieu ressuscité. Face à des juifs réfractaires, il fallut nécessairement délaisser la « terre d’Israël » et tenter de convaincre dans les nations païennes. Pour répandre la « bonne nouvelle », les « Hellénistes », ces fervents évangélisateurs intermittents du judaïsme et sécessionnistes des Galiléens, iront servir leurs soupes partisanes dans les synagogues de la Diaspora, débauchant juifs sceptiques et païens échaudés. En présentant un Évangile épuré de son essence juive, les Hellénistes, véritables fondateurs du christianisme, allaient pouvoir dissiper le malentendu originel et remédier à l’incohérence théologique.

Romanisation et persécution du christianisme

« Il expulsa les juifs qui causaient
des troubles constants à l’instigation de Chrestus. »
Suétone

En l’an 70, date de la destruction du Temple par les Romains, la tentative d’évangélisation des juifs durant les trente années précédentes se révèle être un échec cuisant. À cette date, la plupart des douze fidèles araméens durent subir les foudres fatales de l’empereur ou de l’orthodoxie juive, tel que Jacques, le frère de Jésus, qui finira lapidé pour crime d’apostasie sur ordre du Sanhédrin, le tribunal suprême du judaïsme antique. Ce qui, dans un premier temps, ressembla à une déroute, se transforma vite en un simple incident de parcours, puisque Paul et à sa suite les chrétiens urbanisés de langue grecque, en se lançant corps et âmes à l’assaut du paganisme, essaimeront dans tout l’Empire romain les préceptes – revisités – du Messie. Ce faisant, le centre névralgique autant que symbolique du christianisme allait progressivement se déporter de Jérusalem à Rome, la capitale de l’Empire. Au finale, les contemporains de Jésus, ses disciples juifs l’ayant connu en chair et en os et ayant écouté ses prêches de vive voix, n’ont joué qu’un rôle dérisoire dans l’histoire de la nouvelle religion, car ils furent marginalisés, mis tricards par l’Église, en passe de souscrire à un antisémitisme structurel.

Néanmoins, la route jusqu’aux rives du Tibre, futur témoin de l’avènement impérial de la nouvelle religion, sera sporadiquement semée d’embûches, parfois sanglantes, au bout du compte « inoffensives » eu égard à l’inexorable essor du christianisme. Les premières persécutions à l’encontre de la nouvelle secte auront lieu en 64 à la suite du grand incendie de Rome. Néron, despote à la cruauté légendaire, fut soupçonné d’être lui-même à l’origine du sinistre, dont la responsabilité retombera finalement sur les épaules encore frêles des disciples du Christ. Une partie de ces derniers furent livrés au supplice et exécutés 1, moins pour les conséquences fâcheuses du brasier qu’en raison de leurs « superstitions barbares ».

En l’an 132, l’Empire romain réprima brutalement la révolte juive dite de Bar Kokhba – du nom de l’instigateur de l’insurrection – et décréta l’interdiction de séjour des juifs à Jérusalem, rebaptisée Aelia Capitolina deux ans plus tôt. En considérant que la frontière entre judaïsme et christianisme était encore floue pour un païen de l’époque, il est probable que les autorités romaines aient tués et raflés indistinctement juifs et judéo-chrétiens. Quoiqu’il en soit, la période allant du soulèvement de Bar Kokhba, jusqu’à la fin du IIIe siècle sera dans l’ensemble assez calme pour la communauté grandissante 2. Durant ce siècle et demi, Rome et ses empereurs successifs feront preuve d’une relative clémence envers les judéo-chrétiens, alors que leur religion, suspecte aux yeux de ses voisins païens, était marginalisée et interdite. Rappelons que le polythéisme, par essence éclectique, était ouvert à tous : dans l’Empire, tout étranger pouvait vouer un culte à un dieu grec sans être damné s’il ne l’adorait pas et était autorisé, dans la limite du raisonnable, à se moquer des idoles. À l’exact opposé des monothéismes.

Peu avant de s’immiscer d’une manière définitive dans les arcanes du pouvoir, du moins dans cette partie du monde, l’Église subit en 303 sous le mandat de Dioclétien de nouveaux tourments, connus dans l’historiographie chrétienne sous le nom de « Grande persécution ». La dernière répression du christianisme sous l’Empire romain fut la plus liberticide et la plus meurtrière de la période antique, en particulier pour les fidèles d’Afrique. À cette époque, le patriotisme romain se voit exacerbé sous la pression des invasions barbares venant du nord, et dans ce contexte de crise, le refus des chrétiens (mais aussi des juifs) de sacrifier à l’empereur fut perçu comme menaçant la sûreté et les fondements de l’État. En conséquence, le tétrarque Dioclétien promulgua une série de lois visant la destruction des édifices et des écrits chrétiens, l’arrestation du clergé et l’obligation de sacrifices. Les massacres et les actes de torture succédèrent aux édits, mais force est de constater que cette répression fut « trop faible » et « trop tardive » pour provoquer l’anéantissement de la secte christique, déjà bien implantée à ce moment là. Sans compter que les atrocités dont ont été témoins les païens, ont poussé certains d’entre eux à soutenir les persécutés et à se rallier à leur cause. Il n’en fallait pas tant pour que la nouvelle religion bascule dans une ère nouvelle, faisant table rase d’un passé révolu. Au finale, les mesures de répression prises par l’Empire furent plutôt débonnaires et anecdotiques, comparées aux persécutions à venir…



1/ Quoique gonflé à plusieurs centaines par l’apologétique chrétienne, le nombre de victimes des persécutions de 64 reste inconnu.
2/ Pour nuancer ce propos, on peut évoquer les massacres de centaines de fidèles, issus du premier groupe de chrétiens connu en Gaule, perpétrés à Lyon – ou plutôt à Lugdunum – en l’an 177.


Sacre impérial, lendemains impérieux

« Le christianisme, se confondant avec l’Empire, va devenir
la plus grande machine de coercition jamais apparue sur terre. »
Éric Stemmelen in La religion des Seigneurs

C’est sous le règne de Constantin que le christianisme sera consacré religion officielle, passant du statut de secte au sein du judaïsme, d’avant-garde spirituelle marginalisée ou réprimée, à celui d’une religion originale et reconnue, dont le Dieu n’allait pas tarder à supplanter dans le panthéon romain les cultes idolâtres des civilisations antiques. En 306, alors que le souvenir des suppliciés de la « Grande persécution » taraudait encore les citoyens de l’Empire, Constantin s’empara des rênes du pouvoir impérial, avant de se convertir six ans plus tard à la foi chrétienne. L’attraction croissante de la piété judéo-chrétienne auprès de païens tourmentés, la grandeur d’un Dieu unique et populaire, la fréquence de son culte, la soumission servile aux autorités prônée par l’Église primitive, ou l’extravagance d’un empereur iconoclaste propulsèrent la nouvelle religion sur le devant de la scène, avec un processus d’étatisation extrêmement rapide.

Comme cela a déjà été évoqué, la persécution de Dioclétien n’avait entamé ni l’allégeance des chrétiens vis-à-vis de leur Dieu, ni l’expansion de la foi christique – bien au contraire. À l’aube du IVe siècle de notre ère, l’Église reposait sur des bases solides, avec un contingent toujours plus important de fidèles et un bagage théologique plus étayé. Le christianisme offrait une particularité unique pour l’époque : en plus d’une religion aux Écritures quasi millénaires, offrant un gage d’ancienneté cher à la culture romaine, la nouvelle religion s’était constituée en Église, autrement dit en une croyance exerçant une autorité sur ceux qui la partageaient, fondée sur une hiérarchie structurée, un clergé supérieur en tout point à ses ouailles. À l’inverse du paganisme qui, en dépit de l’obligation de sacrifices, n’était pas totalisant dans ses pratiques cultuelles, la religion du Christ prétendait dominer tous les aspects de la vie. Constantin, en intégrant l’Église à l’État, espérait affermir son pouvoir et assimiler celui des autorités ecclésiastiques. Afin de parachever l’œuvre constantinienne de christianisation de l’Empire, l’empereur Théodose Ier, en 380, fera de la religion chrétienne la religion officielle de l’État. Dans ce contexte particulier où l’Empire est affaibli par les guerres, et où le modèle économique fondé sur l’esclavage vacille, le christianisme façonnera les vertus du nouveau citoyen, à qui on demandera dorénavant d’être travailleur, obéissant et attaché à la famille. Mais l’homme nouveau qui allait contribuer à l’éclosion d’un nouveau système politique et économique, ne s’est pas imposé sans difficulté. Il fallut ordonner au peuple la nouvelle croyance, et Constantin et Théodose procédèrent à une christianisation forcée de la population. Dès lors, la nouvelle religion n’aura de cesse de coloniser les esprits à l’aide d’un expansionnisme redoutable, de pourchasser les voix dissidentes jugées hérétiques et de stigmatiser les juifs, ces « faux-frères ».

Alors que le christianisme embryonnaire portait en lui un mépris farouche envers le judaïsme, Constantin et ses successeurs à la tête de l’Empire contribuèrent à entériner irrémédiablement la fracture entre la chrétienté et la religion de Moïse. En soumettant les juifs à une politique discriminatoire et stigmatisante, le pouvoir constantinien s’efforça de freiner l’expansion du judaïsme et d’endiguer son potentiel prosélyte qui avait cours jusqu’alors. L’Empire romain christianisé, durant ses premières années d’existence, fit promulguer toute une batterie de lois antijuives, qui préfigureront de l’antisémitisme. Ainsi, ceux des juifs qui faisaient circoncire leurs esclaves étaient balayés par la peine capitale ; la confiscation des biens attendait les propriétaires d’esclaves chrétiens et les « égarés » qui rejoignaient le judaïsme ; l’atteinte portée à un juif converti au christianisme menait à la mort. Cette législation liberticide – excusez le pléonasme – au service d’un État imposant sa pensée unique et son dieu inique, se poursuivra, en 420, avec l’exclusion des juifs en tant que païens de tout service public. Deux siècles après Constantin, le christianisme s’étant imposé comme puissance hégémonique, l’empereur Justinien entreprit de convertir les derniers païens, y incluant les juifs.

Sous le joug de la chrétienté, la religion du peuple élu se transforma en une secte méprisée et rejetée, mais dont l’existence marginale allait servir à matérialiser la figure du faux-frère par celle du juif, du traître rendu responsable de la crucifixion 3, du bouc-émissaire idéal. En revanche, les autorités ecclésiastiques ne pouvaient tolérer les innombrables déviances christianisantes – pourtant inhérentes au christianisme primitif – qui retardaient la maturation du dogme de l’Empire chrétien.



3/ Ce qui donnera naissance dans l’idéologie chrétienne au mythe antisémite du « peuple déicide ».


L’hérésie qui façonne le dogme

« Dans le système catholique, l’hérésie, ou seulement l’indulgence
envers elle est un crime énorme, un crime de lèse-majesté divine
à la répression duquel tous les fidèles ont le devoir de concourir. »
Émile-Henry Vollet

Après s’être emparée du Capitole, l’Église triomphante oublia les persécutions que durent subir ses fondateurs, pour devenir à son tour persécutrice, entassant au cours des siècles à venir, crimes sur crimes, horreurs sur horreurs. Sitôt confortée dans son nouveau pouvoir institutionnel, l’Église romaine se distinguera par l’exercice d’un pouvoir particulièrement répressif, marquant au fer rouge les tendances dissidentes de la doctrine officielle, porteurs du sceau infamant d’hérésies 4. En se substituant à l’ordalie – la justice divine – la « religion de l’amour et de la tolérance » allait se consacrer avec férocité à la traque et à la persécution des hérétiques, opérant sur son palier déjà sanguinolent un nettoyage de fond en comble. Ces purges étaient indispensables à l’épuration du dogme, à son fignolage théorique. Les idéologues de Rome s’appuieront en négatif sur les différents courants hérétiques, prenant le contre-pied de leurs positions divergentes, l’antithèse de leurs divagations théologiques afin d’asseoir de façon incontestable et autoritaire la teneur du dogme. En cela, l’hérésie précédera le dogme et non l’inverse, d’autant qu’il faudra attendre la tenue des premiers conciles – ces assemblées d’évêques se consacrant à établir les doctrines, les canons et la discipline commune – pour séparer le bon grain de l’ivraie, la croyance officielle des égarements hérétiques.

Mis à part le concile de Jérusalem daté du milieu du Ier siècle, en vertu duquel les apôtres sanctionnaient l’ouverture de la communauté des juifs chrétiens aux païens (décision incongrue qui poussera l’historiographie chrétienne à qualifier cet événement d’assemblée apostolique plutôt que de concile), le premier concile œcuménique de l’histoire du christianisme, convoqué par Constantin, débuta en 325 de notre ère. Ce rencard épiscopal se déroula à Nicée (aujourd’hui Iznik en Turquie) et entendait phagocyter le courant arien, passablement influent à cette époque 5 et dont la tête de proue, le prêtre libyen Arius, défendait bec et ongles le concept de la pré-existence de Dieu le Daron sur Jésus le Lardon, dissociant l’un de l’autre. Cette thèse, non seulement judaïsante 6, ne pouvait, en outre, concorder avec le concept schizophrénique – bientôt érigé en dogme – de la Sainte-Trinité, fusionnant le Père, le Fils et le Saint-Esprit en une seul entité divine. Il n’en fallait pas tant de la part des Trinitaires pour qualifier les partisans d’Arius d’hérétiques. Avec ce concile, Constantin – l’empereur repenti du paganisme ayant fait de Byzance, rebaptisée pour l’occasion Constantinople, la nouvelle capitale de l’Empire – œuvrait à l’uniformisation de l’Église, principal soutien du pouvoir, afin d’assurer l’unité de l’Empire, alors en proie à une crise autant identitaire que militaire.

En amont du Concile constantinien, l’Église primitive avait déjà entamé des menées purificatrices.  Elle s’attaqua notamment à la secte donatiste, du nom de son leader Donatus, à qui on reprochait une intransigeance radicale envers les fidèles ayant remis les Livres saints aux autorités romaines, lors de la persécution de Dioclétien. Selon Donatus, évêque de Numidie (l’Algérie actuelle), ceux des traîtres qui avaient collaborer avec les païens ne pouvaient recevoir la communion. Cette position, compréhensible pour un chrétien convaincu, provoqua un schisme au sein de la communauté, avant de se voir définitivement condamnée par l’orthodoxie chrétienne en 313. Faute de vouloir se plier aux injonctions épiscopales, de nombreuses autres franges du paléo-christianisme viendront garnir la liste interminable et macabre de l’hérésiologie ecclésiale. Citons à titre d’exemple les spiritualistes docètes – inspirateurs théologiques des Cathares, eux-mêmes anéantis par l’Inquisition médiévale – pour qui Jésus n’avait pas de corps physique, rendant sa crucifixion et son ascension illusoires 7. Ou encore les hétérodoxes gnostiques, fervents adversaires de la hiérarchie ecclésiastique, dont le monde matériel, créé par un dieu mauvais, le Démiurge, s’apparente à une prison de laquelle on ne s’évade qu’à l’aide de la gnose, autrement dit la connaissance de soi et de l’Être suprême. Dans le meilleur des cas excommuniés ou marginalisés, une partie de ces hérétiques à l’instar des arianistes, subiront une terrible persécution, à coups de condamnations à mort et de saints supplices. C’est vrai qu’en matière de torture, on n’est jamais aussi bien servi que par les dieux !



4/ Avant de prendre le sens négatif de « déviance », haíresis signifiait chez les Grecs « libre choix »
5/ À titre d’exemple, les peuples germains, furent ariens ou arianistes jusqu’au VIe siècle.
6/ Selon la Torah, Dieu et son prophète ne peuvent être confondu.
7/ Certains exégètes estiment que le docétisme a pu influencer le Coran, dans lequel le prophète Aïssa n’a en aucun cas fini crucifié « Ils ne l’ont pas tué et ils ne l’ont pas crucifié. Ce n’était qu’un faux-semblant » sourate 4, verset 157.


Christologie et petits arrangements avec l’histoire

« Jésus annonçait le Royaume, et c’est l’église qui est venue »
Alfred Loisy

En marge de leur combat contre l’hérésie, les dignitaires de l’Église s’empressèrent d’édicter et au besoin de reformuler la « bonne nouvelle », l’assimilant à une loi au caractère sacré sensée refroidir toute contestation. Ils s’attelèrent à compiler les textes d’« inspiration divine », puisant ici ou là dans l’ensemble des écrits relatifs à la personne et à l’œuvre de Jésus le Christ ressuscité. Dès lors, les juifs ne seraient plus les seuls à posséder une Bible. Il était temps de développer une stratégie littéraire en constituant un livre de référence, un ouvrage fondamental sur lequel reposerait la doctrine totalisante. Le Livre devait verrouiller les fondements « historiques », essentiels à la toute puissance du dogme.

En 398, selon la légende, un concile eut lieu dans la ville d’Hippone (Algérie actuelle), dans le but de déterminer le corpus de textes chrétiens qui allaient constituer le NT. Comme il a été mentionné au chapitre précédent, les Épîtres signées de proches de Jésus – celles de Jacques, frère du messie, de Pierre, chef des apôtres ou de Jean, disciple bien aimé – ne représentent qu’une infime et dérisoire partie du NT. Les quatorze lettres pauliniennes – dont on rappelle que l’auteur n’a jamais vu le Christ de son vivant et qu’il fut rejeté et méprisé par les chefs de la secte à Jérusalem – forment quant à elles plus de la moitié du livre néo-testamentaire.

Les apôtres pouvaient s’estomaquer du fond de leur caveau, Jésus tomber des nues, il n’en reste pas moins que le recueil biblique qui pervertit le message du prêcheur nazaréen, rencontra un succès universel, malheureusement toujours pas démenti. En revanche, il semble avoir existé dans l’élaboration du NT quelques voix dissonantes, quelques épines dans les pieds encore argileux de l’Église, venant contrarier la grande escroquerie christologique. Au cours du IIe siècle de notre ère, un intellectuel chrétien du nom de Marcion imposa le concept original de Nouveau Testament, en le dotant d’une théologie débarrassée de ses éléments juifs. Selon ce futur hérésiarque excommunié par les Pères de l’Église, Jésus le Christ s’oppose au « méchant Dieu » de la bible hébraïque, laquelle se trouve alors dépassée, devenant par conséquent l’Ancien Testament. Bien que la nouvelle appellation fut adoptée par les premiers théologiens du christianisme, ceux-ci ne pouvaient accepter cette ablation biblique, cette coupure radicale avec le texte fondateur du monothéisme. Même si à leurs yeux le judaïsme devenait encombrant, les autorités ecclésiastiques et leur démagogie intrinsèque ne pouvaient récuser totalement la Bible juive qui, on le rappelle, jouissait dans le monde païen d’une certaine popularité. Pour l’Empire romain, l’existence ancestrale du judaïsme et la dévotion ostensible de ses adeptes constituaient à cette époque encore des critères solides afin que le christianisme devienne une religion légale.

Une fois Marcion châtié, il ne restait plus pour les sectateurs de Jésus qu’à servir à leurs ouailles une soupe pour ainsi dire porcine sur des en-cas casher ! Recette osée mais indigeste qui laissait entrevoir ce sur quoi reposeront les fondements de l’identité chrétienne : le rejet des Israélites, qui augurera d’un antisémitisme funèbre 8. Bien que le NT s’inspire largement de son illustre prédécesseur, qu’il cite allègrement ses prophètes et une partie de ses commandements ou qu’il puise dans son champ lexical, il n’en reste pas moins que les deux testaments se télescopent sur de nombreux points théologiques. Ainsi, la Nouvelle Alliance, qui s’obstine à enrober un crucifié d’un halo divin, apparaît comme pure aberration pour le judaïsme. Alors, lorsque la partie chrétienne de la Bible entend se substituer à l’AT, et par conséquent à la Torah, on s’approche de l’hérésie. Ce mariage contre nature entre l’Ancien et le Nouveau testament – lui-même regorgeant de versions contraires et de paraboles opaques aux significations multiples – est la conséquence d’une confusion volontaire savamment réfléchie, qui favorisera les innombrables interprétations du texte sacré. Un genre de cadavre exquis sur un macchabée ressuscité ! C’est notamment dans ce salmigondis historique, doctrinale mais aussi politique que réside le caractère machiavélique de l’Église primitive. En définitive, le patchwork sacralisé – plus bibliothèque que Livre – offrait aux évangélisateurs des premiers siècles la possibilité d’essaimer leur catéchisme crapuleux, d’affermir leur prosélytisme infâme, de vouloir faire le bonheur de ceux qui ne leur demandaient rien, en leur inoculant la peur idiote des châtiments posthumes et le fallacieux espoir du paradis éternel.

Après son immixtion dans les rouages de l’État, l’Église romaine pouvait réécrire l’histoire à sa guise, celle des vainqueurs méprisant les vaincus et façonnant la mémoire collective, histoire qui n’avait pas pour objet de dévoiler des faits, mais bien de révéler des vérités. La cohérence et la vraisemblance étaient des notions abstraites, superflues et importunes pour les perfides compilateurs du NT. Pour bâtir son histoire, au demeurant l’Histoire avec un grand H, le christianisme a notamment développé une littérature du martyre glorifiant son passé et imposant sa pensée unique. En ces temps anciens, le martyre était le seul moyen d’ascension sociale au sein de la hiérarchie rigoureuse de l’Église, le plus sûr moyen de devenir célèbre (quoique mort), voire pour les plus vernis d’être sanctifiés. Tel fut le cas d’Ignace d’Antioche qui décida au IIe siècle de mourir en martyre pour ressembler à Jésus-Christ, de partager ses souffrances et de bénéficier 2000 ans plus tard d’une page Wikipédia. À l’instar d’Ignace, le fou de Dieu, le christianisme d’avant le sacre impérial, donnera naissance à quantité de fanatiques illuminés par la foi, ce qui se concrétisera par une vague d’attentats suicides. Une fois qu’elle n’aura plus rien à prouver sur le plan politique, l’Église s’empressera de condamner ces kamikazes en mal de reconnaissance sociale.

Une des contributions majeures au dogmatisme chrétien est à mettre à l’actif du philosophe berbère saint Augustin. Père de l’Église et véritable visionnaire politique, Augustin sera l’un des premiers, au début du Ve siècle, à séparer le christianisme de la vie de l’État. La religion qu’il avait ardemment embrassé, délaissant à cette occasion ses anciennes croyances manichéennes 9, devait se prémunir contre les interprétations religieuses, parfois fâcheuses, en cas de défaites militaires de l’Empire. Dans les croyances païennes – encore vivaces à cette époque – l’issue d’une guerre ou d’une bataille était indissociable des humeurs de tel ou tel dieu, lequel pouvait devenir impopulaire en cas de grosse raclée. Il ne pouvait en être de même pour le Dieu unique, qui serait à l’avenir innocenté en cas de boulettes des autorités politiques ou militaires. Même si le pouvoir impérial incarnait l’Église, l’inverse n’était effectif qu’en cas de circonstances avantageuses.

La Cité de Dieu, livre le plus connu de saint Augustin, met en scène la cité des « méritants » au sein de laquelle le pouvoir politique s’attelle à discipliner les pécheurs. Héritière spirituelle de Paul et de sa glorification de la résignation, l’éthique augustinienne – en vertu de laquelle « la mission de l’Église n’est pas de rendre les esclaves libres mais bons » – affirme que la seule entrave à la liberté de l’homme, c’est le péché. Avec tant de cynisme, le troupeau sera bien gardé !

Les évangélistes accordent peu d’importance à la date de naissance de Jésus, et pour cause ils n’en savaient fichtrement rien. Nombre d’historiens estiment que le Galiléen est né dans les dernières années du règne d’Hérode le Grand. Or, le roi de Judée est mort à Jericho en l’an 4 avant notre ère ! Il n’empêche que l’ère chrétienne, sensée débuter à l’accouchement de Marie, poursuit son bonhomme de chemin malgré un calcul foireux. C’est Denys le Petit, moine romain du VIe siècle, qui proposa de remplacer l’ère de Dioclétien par l’ère chrétienne (ou ère de l’incarnation). S’appuyant principalement sur Luc, le cancre tonsuré confondit les années de Rome et se trompa de 3 ou 4 ans en fixant le point zéro ! Autant dire que Jésus de Nazareth est né avant Jésus-Christ et qu’au moment où j’écris ces lignes, nous devrions être déjà en 2020. Que Dieu nous en préserve ! Assigner de façon arbitraire une année de naissance au Christ ne suffisait pas à honorer pleinement l’événement fondateur. Il fallait, pour une liturgie cohérente, étoffer l’état civil christique, quitte à extrapoler un détail de l’Histoire. La Nativité pouvait dès lors se célébrée à Noël, permettant de fixer la circoncision messianique le 8ème jour selon les préceptes juifs, c’est à dire au 1er jour de l’an 1.

À ce propos et n’en déplaise aux culs-bénits antisémites, il est évident que Joseph, en bon juif pratiquant, a décalotté définitivement la nouille de son bambin céleste. Pourquoi alors, sinon pour cacher la circoncision dans les représentations de Jésus-Christ sur sa croix, est-il vêtu d’un pagne, accoutré d’un cache-sexe ? Toujours est-il qu’il faudra attendre le VIe siècle de notre ère pour que le crucifix devienne le symbole chrétien par excellence, amulette ridicule mais néanmoins indispensable à tout exorciste qui se respecte. Arrière, Satan !



8/ Il faudra attendre 1962 et le deuxième concile du Vatican pour que cesse d’être prononcée dans les Églises l’exécration des juifs.
9/ Pondu par le perse Mani au IIIe siècle, le manichéisme repose sur la coexistence et l’antagonisme de deux principes cosmiques : le bien et le mal. Cette doctrine religieuse est un syncrétisme du bouddhisme et du christianisme.


Sodomies infernales

 

Le Nouveau Testament

Les quatre cavaliers de l’ApocalypseLe Nouveau Testament (NT) ou Nouvelle Alliance, nettement moins épais que son pathétique aîné, compte 27 Livres, tous rédigés en grec entre le milieu du Ier siècle et le début du IIe de notre ère. Il comprend 4 évangiles dont celui de Mathieu, Marc et Luc, qui ont la particularité d’être très ressemblants. L’Évangile selon Jean se démarque des précédents par sa structure, mais aussi par son contenu théologique. Viennent ensuite les Actes des Apôtres de Luc, les épîtres de Paul (datés autour de l’an 50 pour une partie d’entre eux, les écrits pauliniens sont les plus anciens du NT), les épîtres universelles (Pierre, Jacques le Juste, Jean de Zébédée, Jude) et pour conclure, l’Apocalypse selon Jean de Zébédée.

On doit aux Évangiles de nous relater l’histoire fantaisiste, pour ne pas dire grotesque de Jésus de Nazareth 1, de sa naissance miraculeuse en Judée, jusqu’à sa mort sanglante sur le mont Golgotha aux abords de Jérusalem. Après la biographie succincte et rocambolesque du Christ, la deuxième partie du NT, constituée des Actes des Apôtres et des épîtres, distille les enseignements théologiques des premiers fidèles avant de se conclure sur le sibyllin Livre de l’Apocalypse, que d’aucuns considèrent comme une prophétie sur la fin des temps.

N’en plaise à Dieu, les Évangiles – à l’exception probable de Luc – ne furent pas rédigés pas les auteurs éponymes et les véritables rédacteurs n’ont de surcroît jamais été des témoins oculaires du rejeton farfelu de Dieu, si tenté qu’il ait existé. Autrement dit, nous sommes en présence de bonimenteurs sanctifiés bien qu’anonymes, écrivant dans une langue étrangère à leur Messie, qui non seulement n’ont pas connu Jésus de son vivant mais à qui les Pères de l’église2 ont conféré une exclusivité, un monopole (autant malingre que diablement efficace) sur les récits relatifs à la vie et à la mort du crucifié béni. Or, dans l’hagiographie du christianisme, il existe en-dehors du cadre biblique, de nombreux textes décrivant le Messie et ses œuvres3 – dont la période de rédaction est parfois contemporaine de celles des Évangiles canoniques – sans qu’ils aient pu pour autant convaincre les tenants de l’historiographie chrétienne de les intégrer à l’anthologie christique. Ce faisant, ces textes sont considérés par l’église de Rome comme inauthentiques et donc d’inspiration profane, ce qui les range parmi les évangiles apocryphes4. Non content d’avoir mis au rancart ces pseudo-évangiles, les théologiens armés de leurs moines copistes – bénéficiant au demeurant du quasi-monopole de la retranscription des manuscrits et ce jusqu’à l’invention de l’imprimerie – s’évertueront à expurger de la littérature antique, les allusions anecdotiques mais néanmoins malheureuses à Jésus, quitte à faire disparaître purement et simplement l’œuvre concernée. Pour preuve, des philosophes tels que Celse (IIe siècle) ou Porphyre (IIIe siècle), adversaires païens du christianisme, verront leurs écrits systématiquement détruits par l’orthodoxie ecclésiastique, lesquels ne nous sont parvenus qu’à travers les citations de leurs détracteurs chrétiens. Au final, l’unique texte antique et païen en « notre » possession faisant allusion à Jésus, est Les Antiquités juives, rédigé par l’historien juif Flavius Josèphe, à la fin du Ier siècle, et dont le plus ancien manuscrit n’est pas antérieur au IXe siècle. Mais il ne fait plus guère de doute aujourd’hui, que les deux mentions christiques présentes dans le livre de Josèphe, sont des rajouts, des interpolations de copistes peu scrupuleux mais soucieux du manque d’échos littéraires relatifs aux prodiges messianiques.

Aujourd’hui, il existe près de 6 000 manuscrits grecs complets du NT dont le plus ancien daterait du IIe siècle, dans lesquels se trouvent pas moins de 400 000 variantes textuelles. Ces innombrables discordances – altérant, pour ne pas dire discréditant, le NT – proviennent le plus souvent d’erreurs accidentelles des scribes mais résultent également de modifications intentionnelles (interpolation et caviardage) motivées par des raisons théologiques.



1/ Bethléem, Capharnaüm, Nazareth ? Les thèses tant théologiques qu’historiques concernant le lieu de naissance de Jésus sont aussi nombreuses qu’approximatives. Ainsi, la recherche archéologique ne peut certifier l’existence de Nazareth (aujourd’hui la plus grande ville arabe d’Israël) qu’à partir du IIe siècle de notre ère. D’autre part, il n’y a aucune mention de Nazareth chez les historiens ou géographes de l’Antiquité ni même dans l’AT, alors que ce dernier énumère l’ensemble des localités de Galilée. Enfin, dans les épîtres de Paul, il existe 221 occurrences de Jésus sans qu’il ne soit question de ce trou perdu…
2/ Pour être affublé de ce titre ampoulé, il convient d’avoir appartenu à la période de l’église antique, d’avoir mené une vie sainte et d’avoir produit des écrits exempts d’erreurs doctrinales.
3/ Des variantes parfois cocasses nous présentent Marie en cloque à l’âge de 14 ans contre 111 pour Joseph; nous gratifient d’un Jésus végétarien ressuscitant un poulet rôti; d’un morveux nazaréen, à peine âgé d’une année, lançant un sort sur un môme qui l’avait mis en colère, lequel tomba raide mort…
4/ On peut relever que le Coran partage de nombreuses scènes de vie de Marie (Maryam) et d’enfance de Jésus (Aïssa) avec des apocryphes chrétiens


La vie de Jésus

« J’ai soif »
Jésus sur son bois, selon Jean XIX, 28

Pensant donner davantage de poids et de crédit aux récits christiques, les compilateurs du NT le firent débuter par trois Évangiles présentant de nombreuses similitudes dans leur manière de relater l’histoire et l’enseignement de Jésus, avec des parties du texte en tout point identiques. Parce qu’ils offrent une concordance que l’on peut saisir d’un seul coup d’œil, ces Évangiles sont dits synoptiques.

Ils nous apprennent que Jésus, descendant direct de David (le fétichiste du prépuce : « David se leva, partit avec ses hommes et tua 200 philistins. Il rapporta leurs prépuces et les livra tous au roi… » 1S XVIII, 27), naquit à Bethléem de Marie, fiancée de Joseph, laquelle se retrouva engrossée par l’action divine, c’est à dire par l’inébranlable Saint-Esprit. Avant même les pertes vaginales de la Sainte Vierge, une prophétie annonça l’arrivée imminente du Messie dont la mission était de sauver son peuple de ses innombrables péchés. En dépit du fait que ce genre de rumeurs étaient visiblement fréquentes à cette époque en Judée (de nombreux prédicateurs pris d’une fièvre messianique s’auto-proclamaient messager du Miséricordieux ou thaumaturges visionnaires), Hérode le tétrarque juif de Galilée, s’empressa de contrarier la « bonne nouvelle » en ordonnant de tuer tous les moutards de moins de 2 ans sur l’ensemble de son territoire5. Le petit Jésus accompagné de sa famille est alors contraint d’entamer une cavale, qui le poussera à se terrer en Égypte, et ne rentrera au bercail qu’à l’annonce de la mort du roitelet infanticide. Plutôt que de retourner en Judée, sa région natale, il préfère s’installer à Nazareth, en Galilée, bled qu’il considère plus sûre au regard de ses aspirations messianiques alors incompatibles avec l’hégémonie politique de Rome.

Peu de temps après son retour en Terre promise, le pseudo-charpentier 6 croise la route du fameux Jean Baptiste, un prêcheur venant du désert, accoutré d’une peau de chameau et se nourrissant de sauterelles et de miel. Avant de finir décapité à la demande d’Hérode, Jean, le bien nommé, baptisa Jésus dans le Jourdain pour le laver de ses péchés. Avouez que c’est un comble pour qui prétend être fils de Dieu ! Une fois sa conscience allégée de ses fardeaux capitaux, Jésus file jeûner « 40 jours et 40 nuits » 7 dans le désert, avant de revenir dans le village de Capharnaüm à proximité du lac de Tibériade où il monte son équipe de malfaiteurs loqueteux, manchards et analphabètes. Maintenant entouré de sa bande de gueux incultes, il pérore dans les synagogues, rend la vue aux aveugles, la raison aux démoniaques, la vie aux macchabées, amuse les naïfs avec ses prodiges et enjoint les foules agglutinées sur ses sandales à se soumettre totalement aux préceptes du judaïsme. Ce faisant, il dénigre les spécialistes de la Loi mosaïque, tels les Pharisiens – un des partis juifs de l’époque – prêtres impies selon lui, qui ne pourront de ce fait entrer dans le royaume des cieux. Ces derniers ne s’en laissent pas conter et lui reprochent de se prétendre fils de Dieu et de réaliser des prodiges le jour du sabbat, jour saint qui ne souffre d’aucune activité y compris miraculeuse. Le dernier acte de la vie christique se déroule à Jérusalem, où Jésus est accueilli par une foule acquise à sa cause. Un brin séditieux, il chasse les commerçants du Temple et rechigne à payer l’impôt en faveur de Rome. Voyant leurs autorités bafouées, les grands prêtres et les Pharisiens, garants de l’orthodoxie juive, décident en soudoyant Judas, de faire arrêter Jésus avant de le livrer à Ponce Pilate. Pour l’amnistie pascale – nous sommes à la veille de la Pâque juive – le préfet de Judée demande à la foule de choisir entre Jésus de Nazareth qui se prétend roi des juifs et Barabbas, un émeutier croupissant dans une geôle romaine. Il est dit que les chefs des prêtres ont persuadé la foule de choisir le second, condamnant ainsi Jésus à la crucifixion. Une fois la mort constatée, la dépouille divine est placée dans un tombeau, d’où elle ressort ressuscitée. Alléluia !



5/ Contrairement à la Judée, la Galilée, au nord du royaume d’Israël, n’était pas directement sous la coupe romaine mais sous celle de rois alliés à Rome, les Hérodiens, considérés par le peuple comme demi-juifs du fait de leur collaboration active avec l’occupant.
6/ Les archéologues s’accordent à dire qu’il n’y avait pas de construction en bois en Palestine à l’époque de Jésus et encore moins de charpentier.
7/ La fête chrétienne du Carême fait référence à cette épisode biblique.


Jésus et la violence sociale

« Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive »
Mt X, 34

Contrairement aux idées reçues sur le christianisme – intimement liées à celles inculquées par l’église – les Évangiles présentent un Jésus à l’occasion violent et vindicatif, bien loin de l’image pacifiste et apolitique dont la coutume judéo-chrétienne l’a gratifié. À l’inverse de l’univers mièvre, gentillet et tolérant qui prédomine dans le texte biblique, il arrive que le langage et les imprécations de notre bisounours divin se radicalisent avec force virulence et agressivité, notamment lorsqu’il traite ses congénères de « race de vipères » Mt XII, 34, ou s’adressant à ses disciples « Je suis venu jeter le feu sur la Terre. » Lc XII, 49, ou encore « Vous serez trahis même par vos parents, par vos frères, par vos proches et par vos amis. » Lc XXI, 16. Ses appels à la violence – qu’il condamne en d’autres circonstances au profit de la miséricorde – sont paradoxalement sans équivoques :  « Le royaume des cieux se prend par violence, et ce sont les violents qui l’emportent. » Mt XI, 12, « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive » Mt X, 34 ou carrément sanguinaires « Quant à mes ennemis, amenez-les ici et égorgez-les en ma présence » Lc XIX, 27. Par ailleurs, le discours messianique prend une saveur particulière lorsqu’il s’attelle à condamner sans appel l’accumulation de richesses et qu’il vilipende – n’en déplaise à l’église et au Vatican corrompu – les classes aisées  : « Malheur à vous les riches ! » Lc VI, 24 ; « Il est plus aisé pour un chameau d’entrer par le trou d’une aiguille, que pour un riche d’entrer dans le royaume de Dieu » Mc X, 25 ; « Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent » Mt VI, 24 ou encore « Gardez-vous avec soin de toute soif de posséder » Lc XII, 15. C’est dans l’épître de Jacques, un peu plus loin dans le NT, que se trouve la contribution la plus véhémente à cette rhétorique éminemment politique, mettant en lumière un antagonisme de classe de circonstance, mais néanmoins surprenant dans la bouche d’un Jésus de paix et d’amour. Pour preuve, les premiers versets du chapitre V de l’épître : « Eh bien, maintenant, les riches ! Pleurez, hurlez sur les malheurs qui vont vous arriver. Votre richesse est pourrie, vos vêtements sont rongés par les vers. Votre or et votre argent sont rouillés, et leur rouille témoignera contre vous : elle dévorera vos chairs » Jc V, 1-3. Pour Jacques, frère de Jésus (la coutume chrétienne, jamais avare de ré-interprétation intéressée du texte, fera de Jacques le cousin du Messie et non pas son frère, statut incommode au vu de la virginité perpétuelle de Marie), il n’y aura point de salut pour les riches qui ont « thésaurisé dans les derniers jours » et qui ont « vécu sur terre dans la mollesse et le luxe » Jc V, 3-5.

En se penchant sur l’environnement politico-religieux de la Palestine8 à l’époque de Jésus, on s’aperçoit qu’à l’inverse de la diaspora, le peuple juif d’Israël était perçu par l’Empire romain comme largement réfractaire à son pouvoir et à son occupation militaire. Et pour cause, la région était régulièrement en proie à des mouvements de rébellion initiés par des groupes de juifs radicaux qui ne pouvaient accepter qu’une puissance étrangère vienne assujettir les « enfants d’Israël » et souiller par leur présence la Terre promise. Dignes héritiers des Maccabées qui menèrent au IIe siècle avant notre ère une résistance armée contre la présence grecque en Judée, les Sicaires et après eux les Zélotes, demeurent les mouvements emblématiques de ces guerres asymétriques menées contre l’empire colonial. Issus d’une de ces innombrables poussées de fièvre messianique, les partisans du mouvement insurrectionnel zélote, dont l’apogée et le déclin sanglant se situent pendant la grande révolte juive en l’an 66 de notre ère 9 , combattirent le pouvoir romain les dagues à la main, n’hésitant pas à assassiner les juifs collaborateurs, au premier rang desquels se trouvaient les autorités politiques (les Hérodiens) mais aussi religieuses (les Sadducéens). Lorsque Jésus s’en prend verbalement mais également physiquement aux notables du Temple, notoirement corrompus par l’administration romaine, il n’y a qu’un pas pour extirper le fils de Dieu de sa neutralité politique légendaire et en faire une figure à part entière du judaïsme subversif et révolutionnaire (bien qu’incomprise et manifestement inoffensive). La thèse d’un Jésus séditieux est étayée par certains historiens peu orthodoxes avançant que la crucifixion chez les Romains servait à mater les révoltes d’esclaves, en sanctionnant spécifiquement « l’incitation à la rébellion ».



8/ Alors que Palestine était le terme romain pour désigner le territoire comprenant Israël, la Palestine, la Jordanie, la Syrie et le Liban actuels du vivant de Jésus, ce fut seulement quand les Romains écrasèrent la révolte juive dite de Bar Kochba (voir le chapitre sur les origines du christianisme) au milieu du IIe siècle de notre ère que la région prit officiellement le nom de Syria-Palaestina.
9/ « La liberté ou la mort » crièrent les survivants des Zélotes du haut de la forteresse de Massada, avant de se jeter dans le vide, alors qu’ils étaient assiégés par les Romains depuis plus d’une année. Mais, alors que les récentes découvertes archéologiques infirment la thèse d’un suicide collectif, on est en droit d’assimiler l’épisode de Massada à la construction d’un mythe servant une idéologie.


Jésus déjudaïsé

« Vous êtes du diable, votre père. »
Jésus s’adressant aux juifs, selon Jean VIII, 44

Entre le Jésus historique, c’est à dire l’individu qu’il aurait pu être autant que celui qu’il ne pouvait être, et le Christ, figure théologique transformant un juif somme toute ordinaire en fils de Dieu et en Dieu lui-même, il y a un long processus de dépouillement graduel, de ré-interprétation éhontée du message prophétique par les premiers chrétiens, lesquels ne furent en aucun cas des contemporains de leur Messie. Au regard des us et coutumes des communautés juives antiques, il est impensable que Jésus ait voulu créer une nouvelle religion, tout au plus voulait-il épurer celle qui l’avait vu naître, en l’occurrence le judaïsme. Non seulement Jésus n’a jamais cessé d’être juif, mais lui et ses apôtres s’évertuaient à observer la Loi mosaïque de manière très stricte, stigmatisant parfois violemment ceux de leur coreligionnaires – visiblement nombreux – qui se permettaient quelques entorses avec les préceptes des Saintes écritures. En cela, le groupe de galiléens s’apparentait moins à une secte déifiant un maître dont la mission aurait été d’abolir la Loi, qu’à un courant minoritaire et rigoriste du judaïsme venu accomplir la Torah.

Or, dans les Évangiles canoniques – on rappelle que ses auteurs sont des goys ou des juifs hellénophones urbanisés, finalement très éloignés de la réalité socio-religieuse de Jésus et de ses apôtres – on observe une montée crescendo vers des positions judéophobes visant en premier lieu les autorités sacerdotales qui officient dans le Temple de Jérusalem, lieu saint et incontournable du judaïsme pré-rabbinique 10. Dans les nombreuses allusions critiquant les Sadducéens, la noblesse sacerdotale, et les Pharisiens, ces rabbins très pieux, la parabole du Bon Samaritain est symptomatique de ces positions assurément antijudaïques. C’est Luc, un docteur non juif, qui nous relate l’histoire d’un voyageur détroussé et laissé pour mort par des bandits, à côté duquel passent un prêtre et un Lévite, tous deux juifs, sans qu’ils ne daignent venir en aide au malheureux agonisant. Celui-ci devra finalement son salut à un Samaritain bienveillant (ce qui n’était pas encore un pléonasme), capable de compassion envers un inconnu, avec lequel il ne partage pas la même religion (Lc X, 30-35). Bien que les Samaritains 11, habitants de la Samarie au nord d’Israël, s’autoproclament descendants des Hébreux et respectueux de la Loi mosaïque, ils ne furent pas toujours considérés comme juifs par le rabbinat. Ils récusent par ailleurs la centralité religieuse de Jérusalem et de son Temple, ce qui leur vaut d’être allègrement détestés par les juifs orthodoxes. En résumé, l’épisode du Bon Samaritain insiste moins sur l’importance de venir en aide aux personnes en détresse, que sur la non-judéité du secouriste conjugué à l’ignominie des deux prêtres juifs.

Un autre exemple troublant de la défiance néotestamentaire à l’égard du judaïsme, se trouve dans la datation de la mort de Jésus, différente d’un Évangile à un autre, mais qui survient en revanche systématiquement à la veille du sabbat, rendant cette fête juive maudite. En outre, les Évangiles tendent de façon plus ou moins subtile, à rendre responsable les juifs ou du moins les prêtres, de la condamnation à mort de Jésus. En la matière, l’Évangile attribué à Jean, est sans aucun doute le plus judéophobe des quatre, en cela qu’il pousse à son point le plus achevé la notion de l’innocence de Ponce Pilate 12, au détriment de la culpabilité des juifs. Le préfet de Judée, qui gouvernait la région d’une main de fer et réprimait volontiers de façon sanglante les révoltes juives, aurait cette fois-ci succombé à une crise de mansuétude aiguë en proposant de gracier un infortuné paysan juif, injurié par la foule, non qu’il le jugeait innocent, mais parce qu’il semblait croire à la divinité de l’énigmatique pouilleux. L’apogée de cette farce grossière, tout de même à l’origine du mythe antisémite d’un peuple déicide, se situe dans cette citation délirante mais sans équivoque : « Vous avez pour père le diable » Jn VIII, 44, qui, selon Jean, fabulateur sans vergogne, aurait été prononcé par Jésus à l’adresse de ses coreligionnaires. L’art de l’interpolation associé à celui de faire l’Histoire, viennent servir la toute puissance du dogme chrétien.



10/ Depuis 70 après J-C, date de la destruction du second Temple par les Romains, le judaïsme rabbinique est le courant majoritaire du judaïsme. Héritier spirituel des Pharisiens, le rabbinat donne une importance prépondérante à la Loi orale – le Talmud – et s’affranchit du Temple, des sacrifices et du territoire.
11/ On trouve aujourd’hui encore des Samaritains en Israël et en Cisjordanie, mais leur communauté, qui ne compte plus que quelques centaines d’individus, est sérieusement menacée par la consanguinité et la dégénérescence du fait des unions intracommunautaires ancestrales. Trop bon, trop con ! Notons tout de même que dans l’histoire du judaïsme, les Samaritains sont assimilés à la perfidie, pour avoir accepté que le Talmud soit détruit.
12/ C’est de ce passage que vient l’expression « s’en laver les mains » : « Pilate…prit de l’eau, se lava les mains en présence de la foule, et dit  : Je suis innocent du sang de ce juste. Cela vous regarde. » Mt XXVII, 24.


Paul, l’usurpateur misogyne

« Que vos femmes se taisent dans les assemblées »
1Co XIV, 34

C’est dans les Actes des Apôtres attribué à Luc, que l’on découvre le personnage de Paul, figure essentielle et pierre angulaire de l’histoire du christianisme. Les Actes précèdent les treize épîtres dont Paul est sensément l’auteur (les exégètes chrétiens eux-mêmes n’osent plus affirmer que ces treize lettres soient l’œuvre d’un seul et même individu). Plus de la moitié des 27 livres du NT viendrait donc de Paul, ou serait à son propos, preuve de l’importance idéologique et fondatrice que les compilateurs du NT ont conféré à ses écrits. Pour comprendre le rôle de Paul dans la création de la nouvelle religion et de son expansion en dehors de Palestine, il convient de revenir sur les premières discordes parfois marquées de pugilat, survenues entre les disciples de Jésus, comme cela a été décrit par Luc dans les Actes des Apôtres.

Dans les années qui suivent la crucifixion du Christ, ses fidèles, initialement composé des 12 apôtres galiléens réussissent – alors qu’ils sont mis au ban par l’orthodoxie juive – à s’élargir à des juifs ne vivant pas en terre d’Israël, puis à des païens convertis, qui tous avaient eu l’opportunité de recevoir la « bonne nouvelle », celle qui fit de Jésus ressuscité le messie tant espéré. Or, les différences culturelles, sociales et linguistiques entre les judéo-chrétiens d’Israël et leurs nouvelles recrues, allaient être déterminantes dans l’émergence de deux courants contraires – ayant des interprétations du discours christique diamétralement opposées – au sein de la petite communauté paléochrétienne. On distingue donc d’un côté le groupe des douze, appelés les « Hébreux » bien que s’exprimant en araméen, très attachés à la stricte observance du judaïsme et témoins oculaires de Jésus, et de l’autre les disciples dits « Hellénistes » (au nombre de sept) de langue grecque et n’ayant rencontré Jésus au mieux, que ressuscité et qui voulaient évangéliser les païens à n’importe quel prix, quitte à bafouer la Loi. Les « Hellénistes » se rendirent vite compte que leur entreprise prosélyte ne pouvait réussir dans le cadre strict et rigoureux qu’offraient les commandements de la Torah en matière de conversion. Lorsque de nouveaux adeptes d’origine païenne ont voulu intégrer la secte juive 13, les querelles se sont cristallisées autour de la question essentielle posant la pertinence de la circoncision et des interdits alimentaires, théoriquement incontournables pour les aspirants judéo-chrétiens (ce qui à ce moment là, voulait avant tout dire juif). Alors qu’il était impensable pour les « Hébreux » d’accepter parmi eux des non-circoncis et encore moins de partager la table avec ceux qui ne mangeaient pas casher, les « Hellénistes » quant à eux, firent le choix de s’affranchir des contraintes imposées par le Temple et le culte juif, afin de convertir en masse et sans entrave. Bientôt, les émules de ces derniers (dont le plus mémorable demeure Paul), allaient soutenir sans sourciller que Jésus n’était pas venu accomplir la Loi, mais l’abolir, invalidant de ce fait la Torah, et dépouillant définitivement le message christique de son essence juive.

Avant sa conversion au judéo-christianisme, Paul, originaire de Tarse dans la Turquie actuelle, portait un nom juif Saül, et pourchassait les partisans de Jésus avec une pugnacité extrême. Luc, pourtant grand admirateur de cet ancien persécuteur de l’église, dira de lui qu’il « respirait la menace et le crime » Ac IX, 1. C’est sur le chemin de Damas où il allait traquer ses futurs camarades, que Paul tomba nez à nez avec le Christ ressuscité, ce qui changea fondamentalement le cours de sa vie, et probablement celui de l’Histoire. Prenant ses songes pour réalité, Paul devint un zélateur farouche de la « religion de l’amour », au point de renier sans ambages son ancienne foi. Membre emblématique et à l’occasion violent du courant « Helléniste » (les « Hébreux » se souviennent encore de ses bourre-pifs !), il contribua plus qu’un autre à débarrasser les éléments juifs de la nouvelle croyance qui, en changeant profondément de nature, allait pouvoir essaimer avec le succès que l’on sait hors des frontières réductrices de la « terre d’Israël ». Pour ce faire, la rhétorique paulinienne n’hésite pas à réhabiliter les « incirconcis », et à affirmer que le concept de peuple élu ne se réduit pas qu’aux seuls Israélites, en présentant les pagano-chrétiens comme descendants légitimes d’Abraham. En somme, il s’acharne à supplanter « l’Israël de la chair » par le plus commode car plus universel « Israël de l’esprit ».

Alors que le canal historique des judéo-chrétiens – marginalisé à la fois par le judaïsme et le christianisme – disparaîtra de façon inexorable (il n’y a guère de trace du noyau fondateur ou de ses héritiers à l’aube du IIe siècle), les « Hellénistes » ou pagano-chrétiens s’apprêtaient à faire rentrer leur culte dans une ère nouvelle. Auto-investi d’une mission d’évangélisation, Paul entreprit d’incessants voyages sur le pourtour méditerranéen, afin de constituer des communautés de fidèles – c’est à dire des églises 14 – avec lesquelles il ne manquera pas de correspondre pour leur prodiguer ses conseils doctrinaux.

Le tour de force majeur de la propagande paulinienne se situe probablement dans son rapport de neutralité vis-à-vis du pouvoir politique. Là où les Évangiles et en particulier celui de Matthieu délivrent un message porteur d’une certaine violence, Paul, en bon persécuteur repenti et démagogue accompli, ne cessera de prôner la soumission et de prier pour les autorités politiques, encore foncièrement païennes à cette époque et bientôt répressives envers les chrétiens. « Que chacun se soumette aux autorités qui nous gouvernent, car toute autorité vient de Dieu » Ro XIII, 1, « Esclaves, obéissez en tout à vos maîtres terrestres » 1 Co III, 22, « Frères et sœurs, que chacun reste devant Dieu dans la condition qui était la sienne lorsqu’il a été appelé » 1 Co VII, 24. L’Empire n’avait que peu d’égard à l’endroit des partisans du Christ, du moins jusqu’au IVe siècle, et il se montrera particulièrement peu réceptif à la flagornerie de Paul, qui finira à ce qu’on dit, décapité à Rome aux alentours de l’an 70 de notre ère, en raison de ses activités prosélytes.

Non content d’être le chantre de la pacification sociale en ordonnant aux pauvres d’accepter leurs conditions jusqu’au jugement dernier, Paul, s’échinera à cantonner la femme à un statut secondaire, si ce n’est insignifiant. Il stipulera dans ses épîtres que les femmes doivent se taire dans les assemblées, leur imposera le port du voile, faisant de leur soumission un devoir. Alors que les Évangiles restent plus nuancés à cet égard, la première lettre aux Corinthiens nous donne un aperçu éloquent de toute la misogynie du propagandiste forcené : « Le chef de la femme, c’est l’homme », « Toute femme qui prie ou prophétise sans couvre–chef fait affront à son maître », « Si la femme ne porte pas de voile, qu’elle se fasse tondre », « L’homme n’a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l’homme » ou « La femme doit porter sur la tête un signe d’autorité » 1 Co XI, 3-10. En outre, le moraliste anatolien aurait tort de vouloir se démarquer de la Torah, tant il lui emprunte une animosité profonde à l’encontre des adultères, des idolâtres, des travestis, des homosexuels, des voleurs, des ivrognes mais également envers les exploiteurs. Notez que ces derniers auront le mieux su se faire oublier de la vindicte chrétienne – et c’est peu de le dire – durant les deux millénaires nous séparant de la rédaction des épîtres.

Au vu des raisons invoquées précédemment, il n’est en définitive pas illogique de désigner « l’avorton de Dieu » 1 Co XV, 8, comme le véritable fondateur du christianisme, tant par l’élan universaliste qu’il lui a insufflé, que par ses treize épîtres, qui constitueront bientôt l’essentiel du corpus théologique de la nouvelle religion.



13/ Aujourd’hui, le terme de prosélyte définit quelqu’un qui cherche à convertir. À l’origine, ce mot désignait un païen converti au judaïsme, puis par extension au catholicisme.
14/ église vient du latin ecclésia, issu du grec ekklesia voulant dire assemblée, communauté, ce qui est le même sens pour synagogue.


L’Apocalypse

« Ils revinrent à la vie et ils régnèrent avec Christ pendant 1000 ans. »
Apocalypse XX, 4

Ultime livre de la Bible, l’Apocalypse, la révélation ou le dévoilement selon son étymologie grecque, tient une place toute particulière au sein du NT, autant par son style énigmatique et théâtral, que par ses visions eschatologiques, son scénario de la fin des temps. Composé vers la fin du Ier siècle par un dénommé Jean, l’Apocalypse s’inscrit dans un genre littéraire initié par les juifs au lendemain de l’exil babylonien et dont les références à l’AT abondent (Daniel, Zacharie, Ézéchiel…). De type ésotérique ou mystique avec un goût prononcé pour la métaphore, cette œuvre judéo-chrétienne livre ses espérances messianiques en prophétisant le retour imminent du Christ, révélation qui marquera la fin du monde et l’avènement du royaume de Dieu. « Le soleil devint noir comme un sac de crin, la lune entière devint comme du sang, et les étoiles du ciel tombèrent sur la terre. » Ap VI, 12. Excepté pour les mécréants qui finiront sous le glaive rédempteur des quatre cavaliers de l’Apocalypse, personnages célestes effrayants, l’Apocalypse s’apparente pour les premiers chrétiens à une espérance profonde et infaillible du retour de leur messie sur Terre. Aspect incontournable du christianisme primitif 15, le concept théologique de la parousie, autrement dit la seconde venue (après sa naissance) de Jésus sur le plancher des vaches, a aujourd’hui quasiment disparu de la dialectique ecclésiastique. Et pour cause, le phénomène galiléen n’a toujours pas daigné montrer sa trombine patibulaire aux yeux chassieux de la chrétienté !

L’Apocalypse présente une spécificité rare pour un texte du NT, celle de s’attaquer au pouvoir politique, prenant le contre-pied des tendances courtisanes de Paul. L’auteur de l’Apocalypse compare Rome l’impie à Babylone, la cité du Mal et de la tromperie personnifiée, qui porte le nom malvenu de « grande prostituée » Ap XVII, 1. Le système politique – ici le paganisme romain persécuteur des premiers chrétiens, et honni parce qu’il s’oppose au pouvoir de Dieu – prend les traits d’un monstre satanique à sept têtes et dix cornes et dont la marque 666 est le symbole de la Bête, de l’Antéchrist. On comprend alors pourquoi l’Apocalypse et ses allégories subversives ont tant inspiré les mouvements millénaristes qui, en croyant ardemment au millénium terrestre, secouèrent le joug sous lequel ils étaient asservis.



15/ À l’image de Paul préconisant aux hommes de ne pas prendre de femmes ou des collectivistes esséniens dont serait issu Jean-Baptiste, de nombreux fidèles du judéo-christianisme antique, pratiquaient l’abstinence sexuelle car il était évident à leurs yeux qu’ils seraient témoins du règne bouleversant de Dieu sur Terre.


 Voyages de Paul

L’Ancien Testament

noePlus qu’un livre, la Bible s’apparente plutôt à une compilation d’écrits, à une bibliothèque divisée, dans le cas du christianisme, en deux parties contenants l’Ancien Testament (AT) et le Nouveau Testament (NT). La tradition chrétienne désigne par AT ou Ancienne Alliance, l’ensemble des écrits bibliques – prétendument d’inspiration divine – antérieurs à Jésus-Christ. La plupart d’entre eux ont été rédigés en hébreu classique, quelques uns en araméen1 et en grec pour les plus récents, entre le XIe et le IIe siècles avant notre ère. Les auteurs sont le plus souvent anonymes, bien que la paternité en ait été attribuée aux prophètes. L’AT est constitué avant tout de la Bible hébraïque2 à laquelle l’église de Rome greffera sept livres supplémentaires appelés deutérocanoniques, littéralement du second canon (le Tanakh lui est estampillé protocanonique). Cependant, ces rajouts de textes anciens dans la Bible catholique n’ont pas été retenus par le canon protestant qui les considère comme apocryphes, autrement dit, dont l’authenticité ou la filiation divines ne sont pas établies. Ainsi l’AT protestant, calqué sur le Tanakh, contient 39 livres contre 46 (selon les éditions) dans le canon catholique.

Concernant la traduction, il existe quasiment autant de versions que d’éditions de la Bible, avec des variantes sémantiques et syntaxiques parfois significatives, en raison d’approches idéologiques différentes, selon les confessions ou les courants religieux. En outre, avec l’hébreu classique, langue morte dépourvue de voyelles et de ponctuation, la traduction est particulièrement délicate et suscite  des controverses. Comme pour la majeure partie de la littérature antique, on ne peut parler de textes originaux, car il n’existe plus de manuscrits datant de la période d’écriture des textes. Les seuls exemplaires retrouvés et conservés sont donc des copies de copies, ce qui a pu générer erreurs, extrapolations ou interpolations (même si, à cet égard, l’Ancien semble plus préservé que le Nouveau). À titre d’exemple, le plus vieux manuscrit jamais retrouvé d’un fragment de l’AT date du IIe siècle avant notre ère – manuscrits de Qumrân, sur les rives de la mer Morte3 –, alors que le seul exemplaire complet existant à ce jour – le « Codex de Leningrad » – a été écrit ou plus exactement copié en l’an 1009 de notre ère !

Contrairement au NT, dont le récit jouit d’un cadre historique plus ou moins probant avec une trame narrative logique et ce, en dépit des invraisemblances christiques, l’AT, quant à lui, compile une succession de mythes dans des genres littéraires protéiformes et de fables mythologiques constituants le judaïsme, sans qu’aucune (allons pour deux ou trois exceptions !) réalité matérielle ou qu’un semblant d’historicité ne puissent enrober ces légendes.


1/ J-C causait dans cette langue sémitique, la plus utilisée à l’époque au Proche-Orient. Aujourd’hui encore, on trouve dans cette région quelques communautés éparses comme les Syriaques, qui parlent une version contemporaine de l’araméen.
2/ On parlera indistinctement de la Bible hébraïque, de la Bible juive ou encore en hébreu du Tanakh. La Torah, quant à elle, est composée des cinq premiers livres de la Bible juive, et correspond chez les chrétiens au Pentateuque.
3/ Une partie de ces manuscrits pourrait être d’origine essénienne. Tendance du judaïsme qui prospérait à l’époque de J-C, les ésséniens étaient une communauté d’ascètes retirée dans le désert, volontairement pauvre, pratiquant la collectivisation des biens et l’abstinence des plaisirs du monde.]


Jalousie dévastatrice et patriarcat revanchard
Germes du monothéisme

L’exclusivisme divin

« Car Moi, L’éternel, ton Dieu, je suis un Dieu Jaloux. »
Ex XX, 5 4

À l’instar des intrigues et jalousies filiales ou fratricides qui jalonnent l’ensemble des livres de l’AT, le Dieu unique est un Dieu foncièrement jaloux. Au regard du contexte religieux de l’époque qui tout entier est voué au polythéisme et à l’idolâtrie païenne, la jalousie céleste – provoquant généralement une colère et une agressivité sans borne – est constamment sollicitée. Voisine des peuples perses, égyptiens, philistins ou encore romains, qui célèbrent de nombreux cultes à des divinités multiples, la foi sensément exclusive des Israélites envers Yahvé (nom du Dieu d’Israël, équivalent de Jéhovah et s’orthographiant Yhwh dans l’écriture consonantique qu’est l’hébreu biblique) est mise à rude épreuve. Le peuple juif a beau être élu par Dieu en personne, il n’en reste pas moins que le Vieil Envieux vilipende de longue ses ouailles, apostats multirécidivistes. À ce titre, l’AT fait figure de brûlot qui condamne moins les superstitions polythéistes des peuples barbares que les dérives idolâtres et les incartades cultuelles de la communauté Israélite. À ce sujet, l’éternel soupe au lait ne sera pas mieux servi par les souverains que par leurs sujets. Ainsi, les rois qui se succédèrent pendant plus de quatre siècles sur le trône d’Israël, seront tous (même s’il existe quelques nuances entre Salomon le sage et Achab l’impie), presque sans exception, à un moment ou à un autre de leur règne, taxés d’adultères de la dévotion, car ils prirent des épouses non juives sans même les convertir ou de misérables impurs à la foi « incirconcise », qui ne savent être entièrement fidèles dans leur amour divin. Remarquez qu’aujourd’hui encore, on nous ressasse que le polyamour est pèché…

La boucherie monothéiste

« La poignée même entra après la lame,
et la graisse se referma autour de la lame »
Juges III, 22

Afin de pallier les faiblesses récurrentes de ses protégés dans le domaine religieux, le pragmatique Yahvé ne toléra que très modérément les populations étrangères – entendez autochtones – sur la terre qu’il avait attribuée à son peuple, la terre de Canaan5, qui allait devenir la terre d’Israël. Raison pour laquelle, lorsque les Israélites la fouleront pour la première fois après leur sortie d’Égypte, Dieu leur intimera d’assassiner sans ménagement hommes, femmes (quand elles ne seront pas violées) et enfants, de massacrer le bétail, de cramer les champs et les fermes et surtout de ne pas céder à la pitié, afin de garantir que la terre n’appartiendrait qu’à ses adorateurs. « Quant aux villes de ces peuples que Yahvé ton Dieu te donne en héritage, tu n’en laisseras rien subsister de vivant. » Dt XX, 16 ; « Samarie sera punie, parce qu’elle s’est révoltée contre son Dieu. Ils tomberont par l’épée; leurs petits enfants seront écrasés, et l’on fendra le ventre de leurs femmes enceintes. » Osée XIV, 1 ; « Leurs enfants seront écrasés sous leurs yeux, leurs maisons pillées, et leurs femmes violées. » Isaïe XIII, 16, etc. L’extermination, thème récurrent dans les écritures, s’apparente à un nettoyage ethnique permettant de garantir la pureté cultuelle. Le prophète Elie – particulièrement apprécié au sein du christianisme –  illustre au mieux cette épuration ethno-religieuse, lui qui égorgea de sa propre main 450 prêtres de Baal (divinité païenne qui cristallise toute l’intolérance haineuse du Dieu unique), car il était « rempli d’un zèle jaloux pour Yahvé » 1Rois XVIII, 20-40. Notons tout de même que par bonheur, la colonisation féroce du pays de Canaan décrite dans l’AT n’a jamais eu lieu.

Néanmoins, ceux des peuples comme les incontournables Philistins6, qui ne seront pas éliminés ou asservis, seront tolérés afin de mettre à l’épreuve la foi dilettante des Israélites. Non content d’ordonner le massacre des autochtones, l’AT – véritable manifeste à l’usage des civilisés en vue de la colonisation des sauvages – prône la loi du talion pour régler les conflits : « Mais si malheur arrive, tu paieras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure. » Ex XXI, 23. On verra qu’il en sera autrement pour le Nouveau Testament, même si la différence est moins nette que l’on voudrait nous le faire croire…

Puritanisme patriarcal vs paganisme dissolu

« Prendre un homme comme on prend une femme
est une abomination, qu’ils soient mis à mort. »
Lv XX, 13

L’extermination méticuleuse et la légendaire politique de terreur ordonnées par un Dieu inique et capricieux à l’encontre du paganisme peut s’expliquer par l’existence dans les croyances autochtones, de déesses dont le culte apparaissait comme purement scandaleux au regard des préceptes sexistes et totalitaires de l’AT. Selon le Livre sacré, les habitants de Canaan comme de la Perse ou du pays de Sumer, se caractérisaient par des mœurs dissolues, par une sexualité licencieuse dont l’expression trouvait son paroxysme dans le culte de la fertilité. À cette époque, de nombreuses femmes pouvaient vivre dans un temple sacré dans lequel elles forniquaient sans retenue pour honorer Baal – divinité vétéro-testamentaire la plus mentionnée après Yahvé – et son double féminin Astarté. Avec un parti pris radicalement anti-sexe, le judaïsme, en s’attaquant au polythéisme local, entendait réprimer ces « dépravées » qui jouissaient d’une liberté impossible à concevoir dans le monothéisme patriarcal. Et pour cause, la Loi mosaïque (autrement dit la loi édictée par Moïse) telle qu’elle est présentée dans le Livre du Lévitique exige que toute femme soit vierge jusqu’au mariage, sous peine de mort par le feu ou la lapidation, et qu’elle soit strictement fidèle, en cul et en culte il va sans dire. Faut-il préciser que cette loi ne s’applique pas aux hommes, du moins sur la sentence en cas d’adultère ? Comble de l’horreur biblique, les femmes violées – plus coupables que victimes – pourront être condamnées à mort. Contribuant au contrôle patriarcal sur les femmes, ces commandements sont aussi la garantie pour savoir qui est le père. N’est pas élu qui veut !7

Par ailleurs, l’homosexualité et à travers elle la bisexualité, coutumière du monde païen et notamment grec, sera constamment stigmatisée et combattue par les fidèles de Moïse, chantres de l’hétérosexisme et d’une sexualité normative incluant à l’occasion les relations incestueuses : « Prendre un homme comme on prend une femme est une abomination, qu’ils soient mis à mort ! » Lv XX, 13. Dans la même veine puritaine, Yahvé enjoint la communauté sacrée à résister aux tentations, en s’éloignant des souillures propres aux sécrétions génitales : « L’homme qui aura une éjaculation lavera tout son corps dans l’eau et sera impur jusqu’au soir. » Lv XV, 16, « La femme qui aura un écoulement de sang restera sept jours dans la souillure de ses règles. Si quelqu’un la touche, il sera impur jusqu’au soir. » Lv XV, 19.

Après avoir dressé le portrait de Yahvé et dévoiler certains traits de son caractère, revenons au point de départ de la chronologie biblique.



4/ Les références bibliques s’appuient sur un découpage en livre, chapitre, verset. Nous avons ici une référence au Livre de l’Exode, chapitre XX, verset 5. La liste des références correspondant à chaque livre se trouve en annexe
5/ Dans le récit biblique, le Pays de Canaan désigne la Terre promise aux Hébreux, par Dieu à Moïse. Avant l’arrivée des Hébreux, ce territoire entre la Méditerranée et le Jourdain, est peuplé par les Cananéens.
6/ Le géant Goliath, à qui le futur roi David trancha la caboche, fut le plus fameux chef de ce peuple antique. Aujourd’hui, ce nom est employé pour désigner une personne à l’esprit obtus, fermé aux lettres, aux arts, aux nouveautés, en somme une espèce de sauvage. Le nom « Palestine » est une dérivation de « Philistin »…
7/ De nos jours, des trois grandes religions monothéistes, le judaïsme, qui s’abstient en théorie de prosélytisme, est probablement la religion dont les règles de conversion sont les moins souples. Or, il apparaît dans la littérature antique, y compris dans certains passages de la Bible, que les juifs ont essaimé leurs superstitions métaphysiques sur tout le pourtour méditerranéen, grâce notamment au zèle ardent de leurs missionnaires. D’ailleurs en ces temps-là, un prosélyte est un païen converti au judaïsme.


Le Pentateuque

« Dieu leur dit : Reproduisez-vous, devenez nombreux,
remplissez la terre et soumettez-la ! »
Gn I, 28

Première partie de l’Ancien Testament, le Pentateuque est composé de cinq Livres – Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome – dont la tradition judéo-chrétienne attribue la rédaction à Moïse (la recherche contemporaine infirme cette thèse et opte pour plusieurs auteurs plus récents et moins prestigieux), et qui présentent la version théologique de l’histoire du peuple d’Israël, depuis la création du monde jusqu’à la mort de Moïse. Les juifs le désignent sous le nom de Torah, c’est à dire la Loi écrite (la dimension orale de la Torah, est quant à elle, appelée Talmud).

L’abject Adam et Ève la damnée

« Dieu voit tout ce qu’il a fait. C’est vraiment bon. »
Gn I, 31

On doit à la Genèse de nous décrire les origines du monde, créé par Dieu en six jours. Après avoir planté le décor de l’univers et avant le repos sabbatique du septième jour, l’Ultra-Haut entreprend la création de l’humanité avec en tête d’affiche Adam et Ève, qui commettent le crime impardonnable de « manger le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. » Gn II, 17 8. Péché originel qui contraignit le Créateur à les expulser sans ordonnance de l’éden, à les rendre simples mortels (notons tout de même qu’à l’instar de son descendant Mathusalem, Adam vivra jusqu’à 930 ans !) et, punition ultime, à les condamner à une vie de labeur vouée à tirer leur subsistance d’une terre récalcitrante. Triple peine pour notre couple maudit assortie d’un anathème ravageur à l’encontre d’Ève qui, tentée par le serpent à sornettes (et symbole phallique ?), croqua la première le fruit défendu, avant de faire tourner à cet infâme Adam, dénonciateur de sa compagne auprès du Dabe (Gn III, 12). Suite à ce méfait légendaire, les femmes dans le sillage d’ève, n’auront de cesse de subir les foudres patriarcales du Vieux Con et de ses fidèles : « J’augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur, tes désirs se porteront vers ton mari, et il dominera sur toi. » Gn III, 16. Illustration parmi tant d’autres du sexisme inhérent à la Bible, laquelle fera de l’oppression des femmes un des piliers de notre civilisation.

Noé l’esclavagiste

« Noé irréprochable et sans tache parmi ses contemporains »
Gn VI, 9

Après des tartines sur le couple originel et le péché du même nom, nous assistons aux turpitudes de leurs moutards. Caïn l’aîné, marié à sa sœur qui lui donna plusieurs enfants, Abel tué par son frère jaloux (et beau-frère à la fois !) et Seth, l’ancêtre de Noé. Lorsque Dieu réalisa qu’il avait foiré sa première création peuplée d’hommes indignes de sa miséricorde, il décida de repartir à zéro dans son œuvre créationniste. Il fallait pour cela se débarrasser du vieux monde en l’inondant généreusement et tout miser sur Noé, son nouveau poulain, qui fut donc, avec sa famille et son arche, le seul rescapé du déluge. Pas pris au dépourvu dans une situation épineuse, Noé pensa à emmener en plus de sa ménagerie, quelques pieds de vigne, non pour se confectionner un slibard en feuilles de Syrah, mais bien pour biberonner le précieux breuvage sur les pentes ensoleillées du mont Ararat. Une fois constatée la décrue diluvienne, notre barbu testamentaire – intronisé nouvel ancêtre de l’Humanité et père de l’alcool – se prit une cuite monumentale et s’endormit le scoubidou à l’air dans la tente familiale. Cham, son fiston, le découvre alors dans un état pitoyable, et comble du péché (« Ne découvre pas la nudité de ton père » Lv XVIII, 7), le voit à poil contrairement à ses frères Sem et Japhet, qui couvrirent son anatomie en s’approchant à reculons de l’épave paternelle. Une fois dégrisé, l’ivrogne fut affranchi par ses moutards vertueux de la conduite indigne de Cham et fustigea ce dernier en faisant de Canaan – le fils de Cham et donc son petit-fils – l’esclave de ses oncles, le couvrant ainsi, lui et sa descendance, de malédictions redoublées pour des siècles et des siècles. Sacré Noé ! La « malédiction de Cham »  prendra une signification redoutable lorsque l’esclavagisme du XVIIe siècle (et plus tard la théorie racialiste) cherchera sa justification mortifère dans les péripéties de l’Arche du Soulard, s’inspirant notamment de certains courants abrahamiques, qui décrétèrent que Cham était noir ou qu’il devint noir des suites de son impudeur. La Bible – qui doit-on le rappeler prône l’esclavage en son sein – vint apporter une justification suprême aux traites négrières9.

Inhospitalières Sodome et Gomorrhe

« Debout ! Quittez la ville. Yhwh va l’exterminer. »
Gn XIX, 14

C’est l’histoire de Loth, qui, venant de quitter Ur en Mésopotamie et cherchant de nouveaux pâturages pour son riche troupeau, s’établit à Sodome avec sa famille, au sud de la mer Morte, dans la plaine du Jourdain. Mais les hommes de cette ville, authentiques sodomites, s’avérèrent corrompus et inhospitaliers, ce qui poussa le Saigneur fou de rage à détruire par le feu et le soufre la cité mécréante, sa voisine Gomorrhe, ainsi que leurs habitants. Magnanime, le Créateur envoya au préalable deux anges auprès de Loth qui le pressèrent – devant l’imminence du châtiment purificateur – de partir avec sa femme et ses filles vers la montagne. Les chérubins leur recommandèrent, en outre, de fuir sans se retourner, ce que ne put s’empêcher de faire la femme du célèbre patriarche, laquelle finira en statue de sel. À l’image du péché originel, on remarquera que ce qui est lourdement sanctionné, ce n’est pas seulement la désobéissance mais aussi la curiosité, ce vilain défaut qui est l’apanage supposé des femmes. Concernant le sexe féminin à qui la tradition abrahamique prête d’innombrables vices, nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Pour preuve, le récit de notre famille endeuillée se termine dans une grotte où Loth et ses deux filles ont une relation incestueuse rendue possible parce que l’aînée – soucieuse de ne pas trouver d’homme dans ce pays hostile – enivra son géniteur, abusa de son corps et incita par dessus le marché sa cadette à l’imiter, finissant chacune d’entre elles avec un polichinelle consanguin dans le tiroir. Triolisme éthylique et familiale à la portée symbolique sidérante. Pour conclure sur ce passage, nous ne trouvons malheureusement aucune trace chez les sodomites d’inclination particulière pour la sexualité anale. Pourtant la tradition chrétienne s’obstinera à invoquer l’épisode de Sodome et Gomorrhe pour condamner la sodomie et l’homosexualité10.

Paléo-capitalisme

« Vous direz à mon père tout ce que je pèse. »
Gn XLV, 13

Jamais à court de préceptes crapuleux, la Bible nous offre à travers le personnage de Joseph (à ne pas confondre avec le paternel de Jésus) un exemple significatif de la figure contemporaine du self made man, dont le mérite de la réussite sociale ne revient qu’à lui-même (un peu à Dieu aussi) et à ses prédispositions spéculatives. Celui que le Coran nommera Yusuf, aîné des douze fils de Jacob11, est vendu en esclave par ses frères, jaloux de la préférence paternel à son égard. Un certain Juda – dont le nom sera à tout jamais associé à la scélératesse – se charge de la transaction entre la fratrie peu scrupuleuse et des marchands ismaélites, qui s’offrent à bon marché Joseph et sa force de travail. Après moult péripéties romanesques dignes d’un scénario hollywoodien, l’affreux Jojo se libère et devient – en vertu de ses qualités indéniables de thésauriseur, de capitaliste primitif – l’homme le plus puissant d’Égypte. Ce faisant, Joseph « amassa du blé comme le sable de la mer » Gn XLI, 49, et attendit la prochaine famine afin de le vendre avec une belle plus-value au peuple affamé qui, dans cette fable grotesque, finira par se prosterner devant le bienfaiteur.

La traversée du désert ou le survivalisme antique

« Ta droite, Yhwh, fracasse l’ennemi ! »
Ex XV, 6

Le livre de l’Exode nous présente les « enfants d’Israël », descendants directs de Joseph, le Rockefeller biblique, avec une communauté agrandie, dont la puissance autant économique que politique s’est considérablement affermie. Leurs compatriotes égyptiens, visiblement peu enclins au libéralisme multiculturel, rendus envieux par l’ascension sociale du peuple juif allogène, s’empressent alors de les asservir sous les ordres d’un Pharaon revanchard. Politique ségrégationniste qui s’étalera sur plusieurs siècles avant que Moïse, premier prophète du judaïsme, ne vienne saboter l’entreprise pharaonique. Super-héros préfigurant Jésus-Christ pour le christianisme, Moïse fut trouvé enfant dérivant sur le Nil, puis fut recueilli et élevé par la fille du roi, avant de se voir investi d’une mission divine afin de libérer son peuple de l’esclavage. Dieu, au préalable, l’avait affranchi de ses origines juives. Aidé de son Maître, qui inflige dix plaies sur le royaume de Pharaon : grenouilles assourdissantes, nuées de moustiques, sauterelles omnivores, furoncles purulents et autres afflictions toutes aussi fourbes et cruelles les unes que les autres, Moïse le bègue (il s’était malencontreusement brûlé la langue en voulant attraper des diamants dans un tas de braises), et son peuple impatient, parviennent à s’enfuir d’Égypte par l’inoubliable scène de la traversée de la mer Rouge12. La suite lénifiante du saint roman nous donne à voir les pérégrinations et les vicissitudes du peuple israélite en quête de la Terre promise. Aux alentours du mont Sinaï, là où Moïse vient de recevoir la Table des dix commandements, Yahvé surprend ses ouailles en pleine idolâtrie devant un veau d’or et les condamne pour ce délit flagrant de paganisme à errer 40 piges dans le désert. Mort aux vaches ! s’écria le vieux Bougre enragé… Durant cette pénitence pour le moins sévère, l’Allergique aux bovins, sans doute pris de remords, fit parvenir aux pauvres pécheurs desséchés, la manne, herbe plus ou moins comestible qui tombait quotidiennement du ciel, excepté le jour du sabbat13. Bonne leçon de survivalisme extrême !



8/ À titre d’exemple sur les variations de traduction : « Ne mange pas de l’arbre de l’expérience du bon et du mauvais. »
9/ Les religions abrahamiques englobent le judaïsme, le christianisme et l’islam, toutes issues de la révélation d’Abraham. Premier patriarche et figure centrale de la Bible, père du monothéisme, Abraham ou Ibrahim pour les musulmans engendra Isaac, l’ancêtre des Hébreux et Ismaël, l’ancêtre des Arabes.
10/ La première mention du terme sodomie apparaît dans le Livre de Gomorrhe, écrit aux alentours de 1050 par Pierre Damien. Cette invention lexicale désigne alors une kyrielle de péchés innommables qui, tous, gaspillant la semence mâle vont « contre nature »
11/ Jacob, également connu sous le nom d’Israël, est après Isaac et Abraham, le troisième patriarche avec lequel Dieu contracte une alliance, lui promettant la terre qui portera désormais son nom. Il est le père de 12 fils qui constitueront les 12 tribus fondatrices d’Israël.
12/ La Pâque juive ou Pessa’h, célèbre la sortie d’Égypte. Voir annexe sur les fêtes juives.
13/ élément fondamental dans l’observance du judaïsme, le sabbat est le jour de repos assigné au septième jour de la semaine juive, du vendredi soir jusqu’au samedi. Servant à sanctifier le temps, le sabbat doit être vécu en dehors des contingences matérielles et se concentrer sur la famille et le foyer.


Livres prophétiques

Seconde partie de l’AT, les Livres prophétiques (Neviim pour le judaïsme) mettent en scène, comme leurs noms l’indiquent, des prophètes, dont la fonction est généralement de redresser les torts du peuple de l’alliance. Les mieux côtés de cette « génération » de messagers bibliques, postérieurs à ceux du Pentateuque, sont Isaïe, Jérémie, Daniel et ézéchiel.

Samson, fou de Dieu

« Si vous n’aviez pas traficoté avec ma vache de femme »
Jg XIV, 18

C’est dans le Livre des Juges que l’on découvre l’histoire fantaisiste, sensée se dérouler aux alentours du XIIe siècle avant notre ère, mettant en scène Samson, rendu célèbre pour son attentat suicide contre l’ennemi philistin. Plus d’un millénaire après la mort de Samson, les premiers chrétiens oublieux de certains épisodes de l’AT, se prosterneront devant la naissance du Christ issu d’une mère vierge, y voyant un miracle sans équivalent dans l’histoire de la thaumaturgie 14. Le mensonge ordinaire omettait de mentionner la daronne de Samson, quant à elle stérile au moment d’accoucher de son chérubin. Un exploit qu’elle aurait mieux fait de breveter ! Qu’importe, devenu adulte, notre héros légendaire déploie une puissance extraordinaire, un super-pouvoir qu’il tire de la longueur de sa tignasse probablement pouilleuse. Enhardi par sa force capillaire et ses montées de testostérone ravageuses, il se pose illico en sauveur du peuple israélite, lui-même en perpétuel conflit avec ces bons vieux philistins, idolâtres invétérés de la région de Gaza. Armé d’une mâchoire d’âne pour le moins contondante, le justicier chevelu trucidera mille de ces « sauvages », avant d’être trahi par Dalila dont il est amoureux, mais qui se trouve être à la solde de ses ennemis. Après l’avoir charmé, celle-ci apprend sur l’oreiller le secret de sa force et lui coupe fatalement ses vilaines dreadlocks pendant son sommeil. Scénario éculé et phallocrate de la femme fatale ! Tondu mais inoffensif, Samson finit par se faire capturer par les terribles Gazaouis, qui l’enferment dans leur palais après lui avoir crever les yeux. Cécité qui n’empêche pas ses tresses de repousser, son pouvoir de croître et sa vengeance de mûrir jusqu’au jour fatidique où il brise les colonnes du temple païen, qui s’écroule sur ses geôliers et leurs faces d’impies, sans que Samson puisse en réchapper lui-même. « Les morts qu’il fit mourir dans sa mort furent plus nombreux que ceux qu’il fit mourir dans sa vie » Jg XVI, 30. Avec la tragédie et l’héroïsme, on retrouve ici deux thèmes chers à la symbolique biblique, enrobés cette fois d’une touche sacrificielle 15.

Sacrées putains et sexe saint

« Je suis bronzée, mais je suis belle, filles de Jérusalem. »
Ct I, 5

Le Livre d’Isaïe (ou Ésaïe) est célèbre pour les miracles qui y sont décrits, étrangement semblables à ceux du Christ, mais aussi pour sa référence unique au personnage de Lilith (Isaïe XXXIV, 14). Démon femelle dont le nom emprunte à la mythologie babylonienne, monstre de rapacité libidineuse, Lilith est, selon la kabbale – tradition ésotérique du judaïsme –, la première femme d’Adam. Insoumise, elle refusa de se tenir sous le vil Adam pendant qu’ils copulaient, ce qui fit d’elle la sorcière féministe de la Genèse, la reine des succubes et l’antithèse chronique de la femme inféodée à l’autorité du père, du mari ou du frère, chère à l’idéologie patriarcale.

Le Livre d’Ézéchiel traite d’un des thèmes favoris de l’AT, celui de l’impiété chronique des Israélites. L’auteur du livre réputé le plus indécent de la Bible use à souhait de la parabole, ce procédé de rhétorique qui jalonne l’ensemble des textes testamentaires, transposant ici la figure ancestrale de la putain sans foi ni loi à celle des Israélites, dont la prostitution spirituelle pousse à pactiser avec les nations ennemies : « Tu écartes les jambes à tout venant, tu ne cesses de faire la putain. »  éz XVI, 25 ; « Elles ont fait les putains en égypte, les putains dès leur plus jeune âge; on leur a caressé la poitrine là-bas, on a pétri leurs seins de vierges. » éz XXIII, 1. Plus grivois encore : « Quand son désir allait aux débauchés, avec leur membre d’âne et leur sperme d’étalon. » éz XXIII, 20.

Dans la Bible, pour espérer dénicher du sexe dénué de considérations paternalistes, il est conseillé de s’attarder sur le Cantique des Cantiques, livre qui revêt une forme poétique consacrant la passion amoureuse (ne vous mettez pas en tête amis lecteurs de trouver du salace et de la franche connexion là-dedans, on reste malheureusement dans le feutré, le courtois et le châtié !). Le Cantique des Cantiques est un dialogue libre entre deux amants, dans lequel on devine l’exaltation, le désir et la célébration du sexe. Son caractère profane et ses images érotiques expliquent sans doute son arrivée tardive et polémique dans le canon biblique. Ainsi, le verset « Tes seins sont comme deux faons, jumeaux d’une gazelle » Ct IV, 5, a probablement troublé plus d’un cureton, pédophile à ses heures. D’ailleurs, le caractère licencieux du Cantique a attiré les foudres de nombreux exégètes, parmi lesquels le pasteur Jean Calvin.

Comme nous avons pu le voir avec la symbolisation abusive de Sodome et Gomorrhe, les théologiens ont une fâcheuse tendance à brandir le texte sacré pour fustiger certains péchés, pourtant absents des commandements divins. Ainsi, Onan, rejeton du patriarche Juda, traîne une réputation usurpée d’incorrigible branleur et reste lié à tout jamais au péché de masturbation, sans que l’on puisse trouver dans cet épisode méconnu (Gn XXXVIII, 8) la moindre trace d’une allusion au crime d’onanisme. En revanche, la condamnation biblique à l’encontre d’Onan est constitutive de la morale judéo-chrétienne en matière de sexualité. Ce qui a irrité Dieu dans l’attitude provocatrice d’Onan, ce n’est pas qu’il se soit prétendument astiquer le pommeau, mais qu’il ait interrompu le coït avec sa partenaire – en substance sa belle-sœur – refusant ainsi de cantonner l’acte sexuel à la seule procréation. Onan, taoïste avant l’heure et dilapidateur sans vergogne du délicieux fil de colle crémeux, est coupable d’avoir déconné pour libérer son foutre, du même coup perverti par cet acte amoral. En conséquence, la justice divine, haïssable police des mœurs, condamnera sans appel notre regretté jean-foutre à la mort.

Pour en finir avec ce putain de paragraphe, un mot sur l’énigmatique Jézabel, princesse phénicienne dont l’histoire nous est conté dans le Livre des Rois. épouse du roi d’Israël Achab16 – lui-même incessamment associé à l’impiété –, Jézabel cristallise à elle seule toute la haine d’un monothéisme misogyne : « Jézabel, la femme, qui excitait son mari à faire ce qui est mal aux yeux de l’Éternel. » 1 Rois XXI, 25. On lui reproche d’avoir introduit le culte de Baal et d’Astarté en Terre promise, mais aussi jusque dans son propre foyer, dévoyant son mari, le détournant du vrai Dieu. Comble de la vilenie, on lui impute quelques persécutions à l’encontre des Israélites, après qu’elle ait tenté de tuer le populaire prophète élie. Son soutien indéfectible au paganisme entraîna la fureur de Dieu, qui envoya un de ses séides pour exécuter la coquette hérétique adepte des parures. Lorsqu’elle entendit que le sicaire approchait de son palais, Jézabel « mit du fard à ses yeux, se para la tête, et regarda par la fenêtre » 2 Rois IX, 30, peine perdue pour notre sorcière bien aimée qu’on fit jeter par la fenêtre, avant que des clébards affamés ne la déchiquettent et ne la bouffent. « Le cadavre de Jézabel sera comme du fumier sur la face des champs. » 2 Rois IX, 37. Mentionnée également dans le Livre de l’Apocalypse du Nouveau Testament, elle prône l’immoralité sexuelle, usurpe la qualité de prophétesse et dérape dans l’idolâtrie. Rares sont les femmes bibliques qui ont été aussi férocement calomniées au cours des siècles que Jézabel.



14/ Il n’y a bien que les chrétiens – ces grands enfants – pour croire à l’Immaculée Conception. Les protestants – ces éternels rabat-joie – seront quant à eux plus dubitatifs sur le sujet.

15/ À ce titre, Samson est l’un des premiers martyrs de l’histoire, dont l’attentat suicide a inspiré une conception du martyre qui meurt en combattant
16/ Herman Melville dans son célèbre roman Moby Dick, emprunte à la mythologie biblique en donnant le nom d’Achab au terrifiant chasseur de baleine.


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Humeurs hérétiques

La Bible pour les caves

Humeurs hérétiques n’est rien de plus qu’une critique ordinaire et partielle de ce monde, dont l’un des chaînons fort est le christianisme. Étant môme, les cours débilitants et soporifiques de catéchisme, l’aube immaculée et ridicule de la communion ou la fréquentation imposée des églises froides et morbides, ont d’emblée fait naître en moi une suspicion affligée à l’égard du message ecclésiastique. Il n’a pas fallu poireauter des lustres pour que la « religion de paix et d’amour » – avec son exaltation de la souffrance, sa haine du corps et des femmes, sa morale sexuelle répressive et son histoire sanguinaire – ne me suscite que dégoût et mépris. Notons qu’au regard de ces critères, il est évident qu’aucune religion, de surcroît monothéiste, ne saurait trouver grâce à mes yeux. Et c’est peu de le dire ! Toutes s’inspirent de fables consternantes, rivalisent d’absolutisme haineux et reposent sur des commandements avariés.

A l’image de la plupart des chrétiens qui méconnaissent leur religion et son livre sacré, ma perception de l’église était jusqu’alors extrêmement limitée, se bornant pour l’essentiel à un ressentiment viscéral. Une lubie aussi soudaine qu’extravagante (en tout cas pour mes proches) m’a poussé à ouvrir et à lire cette satanée Bible, de fond en comble, histoire de matérialiser et d’affiner la critique du domaine religieux. La Bible, cet ouvrage qui a étrenné l’imprimerie de Gutenberg et qui se présente comme le livre le plus édité et le plus lu au monde, constitue le socle idéologique et culturel sur lequel la civilisation occidentale s’est construite.

Se coltiner est le terme à peu près exacte pour qualifier une lecture laborieuse et assommante, s’étalant sur trois mois étouffants. Trois longs mois à s’user les mirettes sur de petits caractères, à blasphémer contre les désagréments du papier fin et à soupirer devant des textes mortellement ennuyeux, autant à cause d’un style fadasse et pompeux, que par l’inintérêt d’un propos métaphysique et pathétique. À force de persévérance et d’un brin de masochisme, j’ai résisté aux listes généalogiques interminables, supporté la niaiserie des psaumes, serré les dents devant l’abject et survécu aux préceptes sidérants, pour finalement venir à bout des Saintes écritures. Lire et prendre des notes était une chose, mais synthétiser celles-ci pour tenter de les rendre intelligibles en était une autre. Bon an, mal an, cet ultra-condensé biblique – fruit du désir de partager les maigres connaissances en la matière ainsi que les réflexions qui en découlent – a fini par prendre corps et âme dans cette brochure.

La première partie se farcit l’Ancien Testament, qui nous offre le récit mythique, initiant les concepts bancals d’un peuple juif élu par Yahvé, d’un paradis terrestre ou d’un péché originel, à travers les épisodes de la Genèse, de l’Exode, de Noé, de Sodome et autres bondieuseries. Vient ensuite celle sur le Nouveau Testament, hagiographie aberrante au sujet d’un perché déguenillé, qui entend se substituer à son prédécesseur, marquant ainsi son essence antijuive. Pour finir, les Origines du christianisme, de l’an zéro au Ve siècle, de la construction du dogme à son sacre impérial en passant par la chasse des premiers hérétiques, clôture la présente brochure.

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