L’Ancien Testament

noePlus qu’un livre, la Bible s’apparente plutôt à une compilation d’écrits, à une bibliothèque divisée, dans le cas du christianisme, en deux parties contenants l’Ancien Testament (AT) et le Nouveau Testament (NT). La tradition chrétienne désigne par AT ou Ancienne Alliance, l’ensemble des écrits bibliques – prétendument d’inspiration divine – antérieurs à Jésus-Christ. La plupart d’entre eux ont été rédigés en hébreu classique, quelques uns en araméen1 et en grec pour les plus récents, entre le XIe et le IIe siècles avant notre ère. Les auteurs sont le plus souvent anonymes, bien que la paternité en ait été attribuée aux prophètes. L’AT est constitué avant tout de la Bible hébraïque2 à laquelle l’église de Rome greffera sept livres supplémentaires appelés deutérocanoniques, littéralement du second canon (le Tanakh lui est estampillé protocanonique). Cependant, ces rajouts de textes anciens dans la Bible catholique n’ont pas été retenus par le canon protestant qui les considère comme apocryphes, autrement dit, dont l’authenticité ou la filiation divines ne sont pas établies. Ainsi l’AT protestant, calqué sur le Tanakh, contient 39 livres contre 46 (selon les éditions) dans le canon catholique.

Concernant la traduction, il existe quasiment autant de versions que d’éditions de la Bible, avec des variantes sémantiques et syntaxiques parfois significatives, en raison d’approches idéologiques différentes, selon les confessions ou les courants religieux. En outre, avec l’hébreu classique, langue morte dépourvue de voyelles et de ponctuation, la traduction est particulièrement délicate et suscite  des controverses. Comme pour la majeure partie de la littérature antique, on ne peut parler de textes originaux, car il n’existe plus de manuscrits datant de la période d’écriture des textes. Les seuls exemplaires retrouvés et conservés sont donc des copies de copies, ce qui a pu générer erreurs, extrapolations ou interpolations (même si, à cet égard, l’Ancien semble plus préservé que le Nouveau). À titre d’exemple, le plus vieux manuscrit jamais retrouvé d’un fragment de l’AT date du IIe siècle avant notre ère – manuscrits de Qumrân, sur les rives de la mer Morte3 –, alors que le seul exemplaire complet existant à ce jour – le « Codex de Leningrad » – a été écrit ou plus exactement copié en l’an 1009 de notre ère !

Contrairement au NT, dont le récit jouit d’un cadre historique plus ou moins probant avec une trame narrative logique et ce, en dépit des invraisemblances christiques, l’AT, quant à lui, compile une succession de mythes dans des genres littéraires protéiformes et de fables mythologiques constituants le judaïsme, sans qu’aucune (allons pour deux ou trois exceptions !) réalité matérielle ou qu’un semblant d’historicité ne puissent enrober ces légendes.


1/ J-C causait dans cette langue sémitique, la plus utilisée à l’époque au Proche-Orient. Aujourd’hui encore, on trouve dans cette région quelques communautés éparses comme les Syriaques, qui parlent une version contemporaine de l’araméen.
2/ On parlera indistinctement de la Bible hébraïque, de la Bible juive ou encore en hébreu du Tanakh. La Torah, quant à elle, est composée des cinq premiers livres de la Bible juive, et correspond chez les chrétiens au Pentateuque.
3/ Une partie de ces manuscrits pourrait être d’origine essénienne. Tendance du judaïsme qui prospérait à l’époque de J-C, les ésséniens étaient une communauté d’ascètes retirée dans le désert, volontairement pauvre, pratiquant la collectivisation des biens et l’abstinence des plaisirs du monde.]


Jalousie dévastatrice et patriarcat revanchard
Germes du monothéisme

L’exclusivisme divin

« Car Moi, L’éternel, ton Dieu, je suis un Dieu Jaloux. »
Ex XX, 5 4

À l’instar des intrigues et jalousies filiales ou fratricides qui jalonnent l’ensemble des livres de l’AT, le Dieu unique est un Dieu foncièrement jaloux. Au regard du contexte religieux de l’époque qui tout entier est voué au polythéisme et à l’idolâtrie païenne, la jalousie céleste – provoquant généralement une colère et une agressivité sans borne – est constamment sollicitée. Voisine des peuples perses, égyptiens, philistins ou encore romains, qui célèbrent de nombreux cultes à des divinités multiples, la foi sensément exclusive des Israélites envers Yahvé (nom du Dieu d’Israël, équivalent de Jéhovah et s’orthographiant Yhwh dans l’écriture consonantique qu’est l’hébreu biblique) est mise à rude épreuve. Le peuple juif a beau être élu par Dieu en personne, il n’en reste pas moins que le Vieil Envieux vilipende de longue ses ouailles, apostats multirécidivistes. À ce titre, l’AT fait figure de brûlot qui condamne moins les superstitions polythéistes des peuples barbares que les dérives idolâtres et les incartades cultuelles de la communauté Israélite. À ce sujet, l’éternel soupe au lait ne sera pas mieux servi par les souverains que par leurs sujets. Ainsi, les rois qui se succédèrent pendant plus de quatre siècles sur le trône d’Israël, seront tous (même s’il existe quelques nuances entre Salomon le sage et Achab l’impie), presque sans exception, à un moment ou à un autre de leur règne, taxés d’adultères de la dévotion, car ils prirent des épouses non juives sans même les convertir ou de misérables impurs à la foi « incirconcise », qui ne savent être entièrement fidèles dans leur amour divin. Remarquez qu’aujourd’hui encore, on nous ressasse que le polyamour est pèché…

La boucherie monothéiste

« La poignée même entra après la lame,
et la graisse se referma autour de la lame »
Juges III, 22

Afin de pallier les faiblesses récurrentes de ses protégés dans le domaine religieux, le pragmatique Yahvé ne toléra que très modérément les populations étrangères – entendez autochtones – sur la terre qu’il avait attribuée à son peuple, la terre de Canaan5, qui allait devenir la terre d’Israël. Raison pour laquelle, lorsque les Israélites la fouleront pour la première fois après leur sortie d’Égypte, Dieu leur intimera d’assassiner sans ménagement hommes, femmes (quand elles ne seront pas violées) et enfants, de massacrer le bétail, de cramer les champs et les fermes et surtout de ne pas céder à la pitié, afin de garantir que la terre n’appartiendrait qu’à ses adorateurs. « Quant aux villes de ces peuples que Yahvé ton Dieu te donne en héritage, tu n’en laisseras rien subsister de vivant. » Dt XX, 16 ; « Samarie sera punie, parce qu’elle s’est révoltée contre son Dieu. Ils tomberont par l’épée; leurs petits enfants seront écrasés, et l’on fendra le ventre de leurs femmes enceintes. » Osée XIV, 1 ; « Leurs enfants seront écrasés sous leurs yeux, leurs maisons pillées, et leurs femmes violées. » Isaïe XIII, 16, etc. L’extermination, thème récurrent dans les écritures, s’apparente à un nettoyage ethnique permettant de garantir la pureté cultuelle. Le prophète Elie – particulièrement apprécié au sein du christianisme –  illustre au mieux cette épuration ethno-religieuse, lui qui égorgea de sa propre main 450 prêtres de Baal (divinité païenne qui cristallise toute l’intolérance haineuse du Dieu unique), car il était « rempli d’un zèle jaloux pour Yahvé » 1Rois XVIII, 20-40. Notons tout de même que par bonheur, la colonisation féroce du pays de Canaan décrite dans l’AT n’a jamais eu lieu.

Néanmoins, ceux des peuples comme les incontournables Philistins6, qui ne seront pas éliminés ou asservis, seront tolérés afin de mettre à l’épreuve la foi dilettante des Israélites. Non content d’ordonner le massacre des autochtones, l’AT – véritable manifeste à l’usage des civilisés en vue de la colonisation des sauvages – prône la loi du talion pour régler les conflits : « Mais si malheur arrive, tu paieras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure. » Ex XXI, 23. On verra qu’il en sera autrement pour le Nouveau Testament, même si la différence est moins nette que l’on voudrait nous le faire croire…

Puritanisme patriarcal vs paganisme dissolu

« Prendre un homme comme on prend une femme
est une abomination, qu’ils soient mis à mort. »
Lv XX, 13

L’extermination méticuleuse et la légendaire politique de terreur ordonnées par un Dieu inique et capricieux à l’encontre du paganisme peut s’expliquer par l’existence dans les croyances autochtones, de déesses dont le culte apparaissait comme purement scandaleux au regard des préceptes sexistes et totalitaires de l’AT. Selon le Livre sacré, les habitants de Canaan comme de la Perse ou du pays de Sumer, se caractérisaient par des mœurs dissolues, par une sexualité licencieuse dont l’expression trouvait son paroxysme dans le culte de la fertilité. À cette époque, de nombreuses femmes pouvaient vivre dans un temple sacré dans lequel elles forniquaient sans retenue pour honorer Baal – divinité vétéro-testamentaire la plus mentionnée après Yahvé – et son double féminin Astarté. Avec un parti pris radicalement anti-sexe, le judaïsme, en s’attaquant au polythéisme local, entendait réprimer ces « dépravées » qui jouissaient d’une liberté impossible à concevoir dans le monothéisme patriarcal. Et pour cause, la Loi mosaïque (autrement dit la loi édictée par Moïse) telle qu’elle est présentée dans le Livre du Lévitique exige que toute femme soit vierge jusqu’au mariage, sous peine de mort par le feu ou la lapidation, et qu’elle soit strictement fidèle, en cul et en culte il va sans dire. Faut-il préciser que cette loi ne s’applique pas aux hommes, du moins sur la sentence en cas d’adultère ? Comble de l’horreur biblique, les femmes violées – plus coupables que victimes – pourront être condamnées à mort. Contribuant au contrôle patriarcal sur les femmes, ces commandements sont aussi la garantie pour savoir qui est le père. N’est pas élu qui veut !7

Par ailleurs, l’homosexualité et à travers elle la bisexualité, coutumière du monde païen et notamment grec, sera constamment stigmatisée et combattue par les fidèles de Moïse, chantres de l’hétérosexisme et d’une sexualité normative incluant à l’occasion les relations incestueuses : « Prendre un homme comme on prend une femme est une abomination, qu’ils soient mis à mort ! » Lv XX, 13. Dans la même veine puritaine, Yahvé enjoint la communauté sacrée à résister aux tentations, en s’éloignant des souillures propres aux sécrétions génitales : « L’homme qui aura une éjaculation lavera tout son corps dans l’eau et sera impur jusqu’au soir. » Lv XV, 16, « La femme qui aura un écoulement de sang restera sept jours dans la souillure de ses règles. Si quelqu’un la touche, il sera impur jusqu’au soir. » Lv XV, 19.

Après avoir dressé le portrait de Yahvé et dévoiler certains traits de son caractère, revenons au point de départ de la chronologie biblique.



4/ Les références bibliques s’appuient sur un découpage en livre, chapitre, verset. Nous avons ici une référence au Livre de l’Exode, chapitre XX, verset 5. La liste des références correspondant à chaque livre se trouve en annexe
5/ Dans le récit biblique, le Pays de Canaan désigne la Terre promise aux Hébreux, par Dieu à Moïse. Avant l’arrivée des Hébreux, ce territoire entre la Méditerranée et le Jourdain, est peuplé par les Cananéens.
6/ Le géant Goliath, à qui le futur roi David trancha la caboche, fut le plus fameux chef de ce peuple antique. Aujourd’hui, ce nom est employé pour désigner une personne à l’esprit obtus, fermé aux lettres, aux arts, aux nouveautés, en somme une espèce de sauvage. Le nom « Palestine » est une dérivation de « Philistin »…
7/ De nos jours, des trois grandes religions monothéistes, le judaïsme, qui s’abstient en théorie de prosélytisme, est probablement la religion dont les règles de conversion sont les moins souples. Or, il apparaît dans la littérature antique, y compris dans certains passages de la Bible, que les juifs ont essaimé leurs superstitions métaphysiques sur tout le pourtour méditerranéen, grâce notamment au zèle ardent de leurs missionnaires. D’ailleurs en ces temps-là, un prosélyte est un païen converti au judaïsme.


Le Pentateuque

« Dieu leur dit : Reproduisez-vous, devenez nombreux,
remplissez la terre et soumettez-la ! »
Gn I, 28

Première partie de l’Ancien Testament, le Pentateuque est composé de cinq Livres – Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome – dont la tradition judéo-chrétienne attribue la rédaction à Moïse (la recherche contemporaine infirme cette thèse et opte pour plusieurs auteurs plus récents et moins prestigieux), et qui présentent la version théologique de l’histoire du peuple d’Israël, depuis la création du monde jusqu’à la mort de Moïse. Les juifs le désignent sous le nom de Torah, c’est à dire la Loi écrite (la dimension orale de la Torah, est quant à elle, appelée Talmud).

L’abject Adam et Ève la damnée

« Dieu voit tout ce qu’il a fait. C’est vraiment bon. »
Gn I, 31

On doit à la Genèse de nous décrire les origines du monde, créé par Dieu en six jours. Après avoir planté le décor de l’univers et avant le repos sabbatique du septième jour, l’Ultra-Haut entreprend la création de l’humanité avec en tête d’affiche Adam et Ève, qui commettent le crime impardonnable de « manger le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. » Gn II, 17 8. Péché originel qui contraignit le Créateur à les expulser sans ordonnance de l’éden, à les rendre simples mortels (notons tout de même qu’à l’instar de son descendant Mathusalem, Adam vivra jusqu’à 930 ans !) et, punition ultime, à les condamner à une vie de labeur vouée à tirer leur subsistance d’une terre récalcitrante. Triple peine pour notre couple maudit assortie d’un anathème ravageur à l’encontre d’Ève qui, tentée par le serpent à sornettes (et symbole phallique ?), croqua la première le fruit défendu, avant de faire tourner à cet infâme Adam, dénonciateur de sa compagne auprès du Dabe (Gn III, 12). Suite à ce méfait légendaire, les femmes dans le sillage d’ève, n’auront de cesse de subir les foudres patriarcales du Vieux Con et de ses fidèles : « J’augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur, tes désirs se porteront vers ton mari, et il dominera sur toi. » Gn III, 16. Illustration parmi tant d’autres du sexisme inhérent à la Bible, laquelle fera de l’oppression des femmes un des piliers de notre civilisation.

Noé l’esclavagiste

« Noé irréprochable et sans tache parmi ses contemporains »
Gn VI, 9

Après des tartines sur le couple originel et le péché du même nom, nous assistons aux turpitudes de leurs moutards. Caïn l’aîné, marié à sa sœur qui lui donna plusieurs enfants, Abel tué par son frère jaloux (et beau-frère à la fois !) et Seth, l’ancêtre de Noé. Lorsque Dieu réalisa qu’il avait foiré sa première création peuplée d’hommes indignes de sa miséricorde, il décida de repartir à zéro dans son œuvre créationniste. Il fallait pour cela se débarrasser du vieux monde en l’inondant généreusement et tout miser sur Noé, son nouveau poulain, qui fut donc, avec sa famille et son arche, le seul rescapé du déluge. Pas pris au dépourvu dans une situation épineuse, Noé pensa à emmener en plus de sa ménagerie, quelques pieds de vigne, non pour se confectionner un slibard en feuilles de Syrah, mais bien pour biberonner le précieux breuvage sur les pentes ensoleillées du mont Ararat. Une fois constatée la décrue diluvienne, notre barbu testamentaire – intronisé nouvel ancêtre de l’Humanité et père de l’alcool – se prit une cuite monumentale et s’endormit le scoubidou à l’air dans la tente familiale. Cham, son fiston, le découvre alors dans un état pitoyable, et comble du péché (« Ne découvre pas la nudité de ton père » Lv XVIII, 7), le voit à poil contrairement à ses frères Sem et Japhet, qui couvrirent son anatomie en s’approchant à reculons de l’épave paternelle. Une fois dégrisé, l’ivrogne fut affranchi par ses moutards vertueux de la conduite indigne de Cham et fustigea ce dernier en faisant de Canaan – le fils de Cham et donc son petit-fils – l’esclave de ses oncles, le couvrant ainsi, lui et sa descendance, de malédictions redoublées pour des siècles et des siècles. Sacré Noé ! La « malédiction de Cham »  prendra une signification redoutable lorsque l’esclavagisme du XVIIe siècle (et plus tard la théorie racialiste) cherchera sa justification mortifère dans les péripéties de l’Arche du Soulard, s’inspirant notamment de certains courants abrahamiques, qui décrétèrent que Cham était noir ou qu’il devint noir des suites de son impudeur. La Bible – qui doit-on le rappeler prône l’esclavage en son sein – vint apporter une justification suprême aux traites négrières9.

Inhospitalières Sodome et Gomorrhe

« Debout ! Quittez la ville. Yhwh va l’exterminer. »
Gn XIX, 14

C’est l’histoire de Loth, qui, venant de quitter Ur en Mésopotamie et cherchant de nouveaux pâturages pour son riche troupeau, s’établit à Sodome avec sa famille, au sud de la mer Morte, dans la plaine du Jourdain. Mais les hommes de cette ville, authentiques sodomites, s’avérèrent corrompus et inhospitaliers, ce qui poussa le Saigneur fou de rage à détruire par le feu et le soufre la cité mécréante, sa voisine Gomorrhe, ainsi que leurs habitants. Magnanime, le Créateur envoya au préalable deux anges auprès de Loth qui le pressèrent – devant l’imminence du châtiment purificateur – de partir avec sa femme et ses filles vers la montagne. Les chérubins leur recommandèrent, en outre, de fuir sans se retourner, ce que ne put s’empêcher de faire la femme du célèbre patriarche, laquelle finira en statue de sel. À l’image du péché originel, on remarquera que ce qui est lourdement sanctionné, ce n’est pas seulement la désobéissance mais aussi la curiosité, ce vilain défaut qui est l’apanage supposé des femmes. Concernant le sexe féminin à qui la tradition abrahamique prête d’innombrables vices, nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Pour preuve, le récit de notre famille endeuillée se termine dans une grotte où Loth et ses deux filles ont une relation incestueuse rendue possible parce que l’aînée – soucieuse de ne pas trouver d’homme dans ce pays hostile – enivra son géniteur, abusa de son corps et incita par dessus le marché sa cadette à l’imiter, finissant chacune d’entre elles avec un polichinelle consanguin dans le tiroir. Triolisme éthylique et familiale à la portée symbolique sidérante. Pour conclure sur ce passage, nous ne trouvons malheureusement aucune trace chez les sodomites d’inclination particulière pour la sexualité anale. Pourtant la tradition chrétienne s’obstinera à invoquer l’épisode de Sodome et Gomorrhe pour condamner la sodomie et l’homosexualité10.

Paléo-capitalisme

« Vous direz à mon père tout ce que je pèse. »
Gn XLV, 13

Jamais à court de préceptes crapuleux, la Bible nous offre à travers le personnage de Joseph (à ne pas confondre avec le paternel de Jésus) un exemple significatif de la figure contemporaine du self made man, dont le mérite de la réussite sociale ne revient qu’à lui-même (un peu à Dieu aussi) et à ses prédispositions spéculatives. Celui que le Coran nommera Yusuf, aîné des douze fils de Jacob11, est vendu en esclave par ses frères, jaloux de la préférence paternel à son égard. Un certain Juda – dont le nom sera à tout jamais associé à la scélératesse – se charge de la transaction entre la fratrie peu scrupuleuse et des marchands ismaélites, qui s’offrent à bon marché Joseph et sa force de travail. Après moult péripéties romanesques dignes d’un scénario hollywoodien, l’affreux Jojo se libère et devient – en vertu de ses qualités indéniables de thésauriseur, de capitaliste primitif – l’homme le plus puissant d’Égypte. Ce faisant, Joseph « amassa du blé comme le sable de la mer » Gn XLI, 49, et attendit la prochaine famine afin de le vendre avec une belle plus-value au peuple affamé qui, dans cette fable grotesque, finira par se prosterner devant le bienfaiteur.

La traversée du désert ou le survivalisme antique

« Ta droite, Yhwh, fracasse l’ennemi ! »
Ex XV, 6

Le livre de l’Exode nous présente les « enfants d’Israël », descendants directs de Joseph, le Rockefeller biblique, avec une communauté agrandie, dont la puissance autant économique que politique s’est considérablement affermie. Leurs compatriotes égyptiens, visiblement peu enclins au libéralisme multiculturel, rendus envieux par l’ascension sociale du peuple juif allogène, s’empressent alors de les asservir sous les ordres d’un Pharaon revanchard. Politique ségrégationniste qui s’étalera sur plusieurs siècles avant que Moïse, premier prophète du judaïsme, ne vienne saboter l’entreprise pharaonique. Super-héros préfigurant Jésus-Christ pour le christianisme, Moïse fut trouvé enfant dérivant sur le Nil, puis fut recueilli et élevé par la fille du roi, avant de se voir investi d’une mission divine afin de libérer son peuple de l’esclavage. Dieu, au préalable, l’avait affranchi de ses origines juives. Aidé de son Maître, qui inflige dix plaies sur le royaume de Pharaon : grenouilles assourdissantes, nuées de moustiques, sauterelles omnivores, furoncles purulents et autres afflictions toutes aussi fourbes et cruelles les unes que les autres, Moïse le bègue (il s’était malencontreusement brûlé la langue en voulant attraper des diamants dans un tas de braises), et son peuple impatient, parviennent à s’enfuir d’Égypte par l’inoubliable scène de la traversée de la mer Rouge12. La suite lénifiante du saint roman nous donne à voir les pérégrinations et les vicissitudes du peuple israélite en quête de la Terre promise. Aux alentours du mont Sinaï, là où Moïse vient de recevoir la Table des dix commandements, Yahvé surprend ses ouailles en pleine idolâtrie devant un veau d’or et les condamne pour ce délit flagrant de paganisme à errer 40 piges dans le désert. Mort aux vaches ! s’écria le vieux Bougre enragé… Durant cette pénitence pour le moins sévère, l’Allergique aux bovins, sans doute pris de remords, fit parvenir aux pauvres pécheurs desséchés, la manne, herbe plus ou moins comestible qui tombait quotidiennement du ciel, excepté le jour du sabbat13. Bonne leçon de survivalisme extrême !



8/ À titre d’exemple sur les variations de traduction : « Ne mange pas de l’arbre de l’expérience du bon et du mauvais. »
9/ Les religions abrahamiques englobent le judaïsme, le christianisme et l’islam, toutes issues de la révélation d’Abraham. Premier patriarche et figure centrale de la Bible, père du monothéisme, Abraham ou Ibrahim pour les musulmans engendra Isaac, l’ancêtre des Hébreux et Ismaël, l’ancêtre des Arabes.
10/ La première mention du terme sodomie apparaît dans le Livre de Gomorrhe, écrit aux alentours de 1050 par Pierre Damien. Cette invention lexicale désigne alors une kyrielle de péchés innommables qui, tous, gaspillant la semence mâle vont « contre nature »
11/ Jacob, également connu sous le nom d’Israël, est après Isaac et Abraham, le troisième patriarche avec lequel Dieu contracte une alliance, lui promettant la terre qui portera désormais son nom. Il est le père de 12 fils qui constitueront les 12 tribus fondatrices d’Israël.
12/ La Pâque juive ou Pessa’h, célèbre la sortie d’Égypte. Voir annexe sur les fêtes juives.
13/ élément fondamental dans l’observance du judaïsme, le sabbat est le jour de repos assigné au septième jour de la semaine juive, du vendredi soir jusqu’au samedi. Servant à sanctifier le temps, le sabbat doit être vécu en dehors des contingences matérielles et se concentrer sur la famille et le foyer.


Livres prophétiques

Seconde partie de l’AT, les Livres prophétiques (Neviim pour le judaïsme) mettent en scène, comme leurs noms l’indiquent, des prophètes, dont la fonction est généralement de redresser les torts du peuple de l’alliance. Les mieux côtés de cette « génération » de messagers bibliques, postérieurs à ceux du Pentateuque, sont Isaïe, Jérémie, Daniel et ézéchiel.

Samson, fou de Dieu

« Si vous n’aviez pas traficoté avec ma vache de femme »
Jg XIV, 18

C’est dans le Livre des Juges que l’on découvre l’histoire fantaisiste, sensée se dérouler aux alentours du XIIe siècle avant notre ère, mettant en scène Samson, rendu célèbre pour son attentat suicide contre l’ennemi philistin. Plus d’un millénaire après la mort de Samson, les premiers chrétiens oublieux de certains épisodes de l’AT, se prosterneront devant la naissance du Christ issu d’une mère vierge, y voyant un miracle sans équivalent dans l’histoire de la thaumaturgie 14. Le mensonge ordinaire omettait de mentionner la daronne de Samson, quant à elle stérile au moment d’accoucher de son chérubin. Un exploit qu’elle aurait mieux fait de breveter ! Qu’importe, devenu adulte, notre héros légendaire déploie une puissance extraordinaire, un super-pouvoir qu’il tire de la longueur de sa tignasse probablement pouilleuse. Enhardi par sa force capillaire et ses montées de testostérone ravageuses, il se pose illico en sauveur du peuple israélite, lui-même en perpétuel conflit avec ces bons vieux philistins, idolâtres invétérés de la région de Gaza. Armé d’une mâchoire d’âne pour le moins contondante, le justicier chevelu trucidera mille de ces « sauvages », avant d’être trahi par Dalila dont il est amoureux, mais qui se trouve être à la solde de ses ennemis. Après l’avoir charmé, celle-ci apprend sur l’oreiller le secret de sa force et lui coupe fatalement ses vilaines dreadlocks pendant son sommeil. Scénario éculé et phallocrate de la femme fatale ! Tondu mais inoffensif, Samson finit par se faire capturer par les terribles Gazaouis, qui l’enferment dans leur palais après lui avoir crever les yeux. Cécité qui n’empêche pas ses tresses de repousser, son pouvoir de croître et sa vengeance de mûrir jusqu’au jour fatidique où il brise les colonnes du temple païen, qui s’écroule sur ses geôliers et leurs faces d’impies, sans que Samson puisse en réchapper lui-même. « Les morts qu’il fit mourir dans sa mort furent plus nombreux que ceux qu’il fit mourir dans sa vie » Jg XVI, 30. Avec la tragédie et l’héroïsme, on retrouve ici deux thèmes chers à la symbolique biblique, enrobés cette fois d’une touche sacrificielle 15.

Sacrées putains et sexe saint

« Je suis bronzée, mais je suis belle, filles de Jérusalem. »
Ct I, 5

Le Livre d’Isaïe (ou Ésaïe) est célèbre pour les miracles qui y sont décrits, étrangement semblables à ceux du Christ, mais aussi pour sa référence unique au personnage de Lilith (Isaïe XXXIV, 14). Démon femelle dont le nom emprunte à la mythologie babylonienne, monstre de rapacité libidineuse, Lilith est, selon la kabbale – tradition ésotérique du judaïsme –, la première femme d’Adam. Insoumise, elle refusa de se tenir sous le vil Adam pendant qu’ils copulaient, ce qui fit d’elle la sorcière féministe de la Genèse, la reine des succubes et l’antithèse chronique de la femme inféodée à l’autorité du père, du mari ou du frère, chère à l’idéologie patriarcale.

Le Livre d’Ézéchiel traite d’un des thèmes favoris de l’AT, celui de l’impiété chronique des Israélites. L’auteur du livre réputé le plus indécent de la Bible use à souhait de la parabole, ce procédé de rhétorique qui jalonne l’ensemble des textes testamentaires, transposant ici la figure ancestrale de la putain sans foi ni loi à celle des Israélites, dont la prostitution spirituelle pousse à pactiser avec les nations ennemies : « Tu écartes les jambes à tout venant, tu ne cesses de faire la putain. »  éz XVI, 25 ; « Elles ont fait les putains en égypte, les putains dès leur plus jeune âge; on leur a caressé la poitrine là-bas, on a pétri leurs seins de vierges. » éz XXIII, 1. Plus grivois encore : « Quand son désir allait aux débauchés, avec leur membre d’âne et leur sperme d’étalon. » éz XXIII, 20.

Dans la Bible, pour espérer dénicher du sexe dénué de considérations paternalistes, il est conseillé de s’attarder sur le Cantique des Cantiques, livre qui revêt une forme poétique consacrant la passion amoureuse (ne vous mettez pas en tête amis lecteurs de trouver du salace et de la franche connexion là-dedans, on reste malheureusement dans le feutré, le courtois et le châtié !). Le Cantique des Cantiques est un dialogue libre entre deux amants, dans lequel on devine l’exaltation, le désir et la célébration du sexe. Son caractère profane et ses images érotiques expliquent sans doute son arrivée tardive et polémique dans le canon biblique. Ainsi, le verset « Tes seins sont comme deux faons, jumeaux d’une gazelle » Ct IV, 5, a probablement troublé plus d’un cureton, pédophile à ses heures. D’ailleurs, le caractère licencieux du Cantique a attiré les foudres de nombreux exégètes, parmi lesquels le pasteur Jean Calvin.

Comme nous avons pu le voir avec la symbolisation abusive de Sodome et Gomorrhe, les théologiens ont une fâcheuse tendance à brandir le texte sacré pour fustiger certains péchés, pourtant absents des commandements divins. Ainsi, Onan, rejeton du patriarche Juda, traîne une réputation usurpée d’incorrigible branleur et reste lié à tout jamais au péché de masturbation, sans que l’on puisse trouver dans cet épisode méconnu (Gn XXXVIII, 8) la moindre trace d’une allusion au crime d’onanisme. En revanche, la condamnation biblique à l’encontre d’Onan est constitutive de la morale judéo-chrétienne en matière de sexualité. Ce qui a irrité Dieu dans l’attitude provocatrice d’Onan, ce n’est pas qu’il se soit prétendument astiquer le pommeau, mais qu’il ait interrompu le coït avec sa partenaire – en substance sa belle-sœur – refusant ainsi de cantonner l’acte sexuel à la seule procréation. Onan, taoïste avant l’heure et dilapidateur sans vergogne du délicieux fil de colle crémeux, est coupable d’avoir déconné pour libérer son foutre, du même coup perverti par cet acte amoral. En conséquence, la justice divine, haïssable police des mœurs, condamnera sans appel notre regretté jean-foutre à la mort.

Pour en finir avec ce putain de paragraphe, un mot sur l’énigmatique Jézabel, princesse phénicienne dont l’histoire nous est conté dans le Livre des Rois. épouse du roi d’Israël Achab16 – lui-même incessamment associé à l’impiété –, Jézabel cristallise à elle seule toute la haine d’un monothéisme misogyne : « Jézabel, la femme, qui excitait son mari à faire ce qui est mal aux yeux de l’Éternel. » 1 Rois XXI, 25. On lui reproche d’avoir introduit le culte de Baal et d’Astarté en Terre promise, mais aussi jusque dans son propre foyer, dévoyant son mari, le détournant du vrai Dieu. Comble de la vilenie, on lui impute quelques persécutions à l’encontre des Israélites, après qu’elle ait tenté de tuer le populaire prophète élie. Son soutien indéfectible au paganisme entraîna la fureur de Dieu, qui envoya un de ses séides pour exécuter la coquette hérétique adepte des parures. Lorsqu’elle entendit que le sicaire approchait de son palais, Jézabel « mit du fard à ses yeux, se para la tête, et regarda par la fenêtre » 2 Rois IX, 30, peine perdue pour notre sorcière bien aimée qu’on fit jeter par la fenêtre, avant que des clébards affamés ne la déchiquettent et ne la bouffent. « Le cadavre de Jézabel sera comme du fumier sur la face des champs. » 2 Rois IX, 37. Mentionnée également dans le Livre de l’Apocalypse du Nouveau Testament, elle prône l’immoralité sexuelle, usurpe la qualité de prophétesse et dérape dans l’idolâtrie. Rares sont les femmes bibliques qui ont été aussi férocement calomniées au cours des siècles que Jézabel.



14/ Il n’y a bien que les chrétiens – ces grands enfants – pour croire à l’Immaculée Conception. Les protestants – ces éternels rabat-joie – seront quant à eux plus dubitatifs sur le sujet.

15/ À ce titre, Samson est l’un des premiers martyrs de l’histoire, dont l’attentat suicide a inspiré une conception du martyre qui meurt en combattant
16/ Herman Melville dans son célèbre roman Moby Dick, emprunte à la mythologie biblique en donnant le nom d’Achab au terrifiant chasseur de baleine.


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