Le Nouveau Testament

Les quatre cavaliers de l’ApocalypseLe Nouveau Testament (NT) ou Nouvelle Alliance, nettement moins épais que son pathétique aîné, compte 27 Livres, tous rédigés en grec entre le milieu du Ier siècle et le début du IIe de notre ère. Il comprend 4 évangiles dont celui de Mathieu, Marc et Luc, qui ont la particularité d’être très ressemblants. L’Évangile selon Jean se démarque des précédents par sa structure, mais aussi par son contenu théologique. Viennent ensuite les Actes des Apôtres de Luc, les épîtres de Paul (datés autour de l’an 50 pour une partie d’entre eux, les écrits pauliniens sont les plus anciens du NT), les épîtres universelles (Pierre, Jacques le Juste, Jean de Zébédée, Jude) et pour conclure, l’Apocalypse selon Jean de Zébédée.

On doit aux Évangiles de nous relater l’histoire fantaisiste, pour ne pas dire grotesque de Jésus de Nazareth 1, de sa naissance miraculeuse en Judée, jusqu’à sa mort sanglante sur le mont Golgotha aux abords de Jérusalem. Après la biographie succincte et rocambolesque du Christ, la deuxième partie du NT, constituée des Actes des Apôtres et des épîtres, distille les enseignements théologiques des premiers fidèles avant de se conclure sur le sibyllin Livre de l’Apocalypse, que d’aucuns considèrent comme une prophétie sur la fin des temps.

N’en plaise à Dieu, les Évangiles – à l’exception probable de Luc – ne furent pas rédigés pas les auteurs éponymes et les véritables rédacteurs n’ont de surcroît jamais été des témoins oculaires du rejeton farfelu de Dieu, si tenté qu’il ait existé. Autrement dit, nous sommes en présence de bonimenteurs sanctifiés bien qu’anonymes, écrivant dans une langue étrangère à leur Messie, qui non seulement n’ont pas connu Jésus de son vivant mais à qui les Pères de l’église2 ont conféré une exclusivité, un monopole (autant malingre que diablement efficace) sur les récits relatifs à la vie et à la mort du crucifié béni. Or, dans l’hagiographie du christianisme, il existe en-dehors du cadre biblique, de nombreux textes décrivant le Messie et ses œuvres3 – dont la période de rédaction est parfois contemporaine de celles des Évangiles canoniques – sans qu’ils aient pu pour autant convaincre les tenants de l’historiographie chrétienne de les intégrer à l’anthologie christique. Ce faisant, ces textes sont considérés par l’église de Rome comme inauthentiques et donc d’inspiration profane, ce qui les range parmi les évangiles apocryphes4. Non content d’avoir mis au rancart ces pseudo-évangiles, les théologiens armés de leurs moines copistes – bénéficiant au demeurant du quasi-monopole de la retranscription des manuscrits et ce jusqu’à l’invention de l’imprimerie – s’évertueront à expurger de la littérature antique, les allusions anecdotiques mais néanmoins malheureuses à Jésus, quitte à faire disparaître purement et simplement l’œuvre concernée. Pour preuve, des philosophes tels que Celse (IIe siècle) ou Porphyre (IIIe siècle), adversaires païens du christianisme, verront leurs écrits systématiquement détruits par l’orthodoxie ecclésiastique, lesquels ne nous sont parvenus qu’à travers les citations de leurs détracteurs chrétiens. Au final, l’unique texte antique et païen en « notre » possession faisant allusion à Jésus, est Les Antiquités juives, rédigé par l’historien juif Flavius Josèphe, à la fin du Ier siècle, et dont le plus ancien manuscrit n’est pas antérieur au IXe siècle. Mais il ne fait plus guère de doute aujourd’hui, que les deux mentions christiques présentes dans le livre de Josèphe, sont des rajouts, des interpolations de copistes peu scrupuleux mais soucieux du manque d’échos littéraires relatifs aux prodiges messianiques.

Aujourd’hui, il existe près de 6 000 manuscrits grecs complets du NT dont le plus ancien daterait du IIe siècle, dans lesquels se trouvent pas moins de 400 000 variantes textuelles. Ces innombrables discordances – altérant, pour ne pas dire discréditant, le NT – proviennent le plus souvent d’erreurs accidentelles des scribes mais résultent également de modifications intentionnelles (interpolation et caviardage) motivées par des raisons théologiques.



1/ Bethléem, Capharnaüm, Nazareth ? Les thèses tant théologiques qu’historiques concernant le lieu de naissance de Jésus sont aussi nombreuses qu’approximatives. Ainsi, la recherche archéologique ne peut certifier l’existence de Nazareth (aujourd’hui la plus grande ville arabe d’Israël) qu’à partir du IIe siècle de notre ère. D’autre part, il n’y a aucune mention de Nazareth chez les historiens ou géographes de l’Antiquité ni même dans l’AT, alors que ce dernier énumère l’ensemble des localités de Galilée. Enfin, dans les épîtres de Paul, il existe 221 occurrences de Jésus sans qu’il ne soit question de ce trou perdu…
2/ Pour être affublé de ce titre ampoulé, il convient d’avoir appartenu à la période de l’église antique, d’avoir mené une vie sainte et d’avoir produit des écrits exempts d’erreurs doctrinales.
3/ Des variantes parfois cocasses nous présentent Marie en cloque à l’âge de 14 ans contre 111 pour Joseph; nous gratifient d’un Jésus végétarien ressuscitant un poulet rôti; d’un morveux nazaréen, à peine âgé d’une année, lançant un sort sur un môme qui l’avait mis en colère, lequel tomba raide mort…
4/ On peut relever que le Coran partage de nombreuses scènes de vie de Marie (Maryam) et d’enfance de Jésus (Aïssa) avec des apocryphes chrétiens


La vie de Jésus

« J’ai soif »
Jésus sur son bois, selon Jean XIX, 28

Pensant donner davantage de poids et de crédit aux récits christiques, les compilateurs du NT le firent débuter par trois Évangiles présentant de nombreuses similitudes dans leur manière de relater l’histoire et l’enseignement de Jésus, avec des parties du texte en tout point identiques. Parce qu’ils offrent une concordance que l’on peut saisir d’un seul coup d’œil, ces Évangiles sont dits synoptiques.

Ils nous apprennent que Jésus, descendant direct de David (le fétichiste du prépuce : « David se leva, partit avec ses hommes et tua 200 philistins. Il rapporta leurs prépuces et les livra tous au roi… » 1S XVIII, 27), naquit à Bethléem de Marie, fiancée de Joseph, laquelle se retrouva engrossée par l’action divine, c’est à dire par l’inébranlable Saint-Esprit. Avant même les pertes vaginales de la Sainte Vierge, une prophétie annonça l’arrivée imminente du Messie dont la mission était de sauver son peuple de ses innombrables péchés. En dépit du fait que ce genre de rumeurs étaient visiblement fréquentes à cette époque en Judée (de nombreux prédicateurs pris d’une fièvre messianique s’auto-proclamaient messager du Miséricordieux ou thaumaturges visionnaires), Hérode le tétrarque juif de Galilée, s’empressa de contrarier la « bonne nouvelle » en ordonnant de tuer tous les moutards de moins de 2 ans sur l’ensemble de son territoire5. Le petit Jésus accompagné de sa famille est alors contraint d’entamer une cavale, qui le poussera à se terrer en Égypte, et ne rentrera au bercail qu’à l’annonce de la mort du roitelet infanticide. Plutôt que de retourner en Judée, sa région natale, il préfère s’installer à Nazareth, en Galilée, bled qu’il considère plus sûre au regard de ses aspirations messianiques alors incompatibles avec l’hégémonie politique de Rome.

Peu de temps après son retour en Terre promise, le pseudo-charpentier 6 croise la route du fameux Jean Baptiste, un prêcheur venant du désert, accoutré d’une peau de chameau et se nourrissant de sauterelles et de miel. Avant de finir décapité à la demande d’Hérode, Jean, le bien nommé, baptisa Jésus dans le Jourdain pour le laver de ses péchés. Avouez que c’est un comble pour qui prétend être fils de Dieu ! Une fois sa conscience allégée de ses fardeaux capitaux, Jésus file jeûner « 40 jours et 40 nuits » 7 dans le désert, avant de revenir dans le village de Capharnaüm à proximité du lac de Tibériade où il monte son équipe de malfaiteurs loqueteux, manchards et analphabètes. Maintenant entouré de sa bande de gueux incultes, il pérore dans les synagogues, rend la vue aux aveugles, la raison aux démoniaques, la vie aux macchabées, amuse les naïfs avec ses prodiges et enjoint les foules agglutinées sur ses sandales à se soumettre totalement aux préceptes du judaïsme. Ce faisant, il dénigre les spécialistes de la Loi mosaïque, tels les Pharisiens – un des partis juifs de l’époque – prêtres impies selon lui, qui ne pourront de ce fait entrer dans le royaume des cieux. Ces derniers ne s’en laissent pas conter et lui reprochent de se prétendre fils de Dieu et de réaliser des prodiges le jour du sabbat, jour saint qui ne souffre d’aucune activité y compris miraculeuse. Le dernier acte de la vie christique se déroule à Jérusalem, où Jésus est accueilli par une foule acquise à sa cause. Un brin séditieux, il chasse les commerçants du Temple et rechigne à payer l’impôt en faveur de Rome. Voyant leurs autorités bafouées, les grands prêtres et les Pharisiens, garants de l’orthodoxie juive, décident en soudoyant Judas, de faire arrêter Jésus avant de le livrer à Ponce Pilate. Pour l’amnistie pascale – nous sommes à la veille de la Pâque juive – le préfet de Judée demande à la foule de choisir entre Jésus de Nazareth qui se prétend roi des juifs et Barabbas, un émeutier croupissant dans une geôle romaine. Il est dit que les chefs des prêtres ont persuadé la foule de choisir le second, condamnant ainsi Jésus à la crucifixion. Une fois la mort constatée, la dépouille divine est placée dans un tombeau, d’où elle ressort ressuscitée. Alléluia !



5/ Contrairement à la Judée, la Galilée, au nord du royaume d’Israël, n’était pas directement sous la coupe romaine mais sous celle de rois alliés à Rome, les Hérodiens, considérés par le peuple comme demi-juifs du fait de leur collaboration active avec l’occupant.
6/ Les archéologues s’accordent à dire qu’il n’y avait pas de construction en bois en Palestine à l’époque de Jésus et encore moins de charpentier.
7/ La fête chrétienne du Carême fait référence à cette épisode biblique.


Jésus et la violence sociale

« Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive »
Mt X, 34

Contrairement aux idées reçues sur le christianisme – intimement liées à celles inculquées par l’église – les Évangiles présentent un Jésus à l’occasion violent et vindicatif, bien loin de l’image pacifiste et apolitique dont la coutume judéo-chrétienne l’a gratifié. À l’inverse de l’univers mièvre, gentillet et tolérant qui prédomine dans le texte biblique, il arrive que le langage et les imprécations de notre bisounours divin se radicalisent avec force virulence et agressivité, notamment lorsqu’il traite ses congénères de « race de vipères » Mt XII, 34, ou s’adressant à ses disciples « Je suis venu jeter le feu sur la Terre. » Lc XII, 49, ou encore « Vous serez trahis même par vos parents, par vos frères, par vos proches et par vos amis. » Lc XXI, 16. Ses appels à la violence – qu’il condamne en d’autres circonstances au profit de la miséricorde – sont paradoxalement sans équivoques :  « Le royaume des cieux se prend par violence, et ce sont les violents qui l’emportent. » Mt XI, 12, « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive » Mt X, 34 ou carrément sanguinaires « Quant à mes ennemis, amenez-les ici et égorgez-les en ma présence » Lc XIX, 27. Par ailleurs, le discours messianique prend une saveur particulière lorsqu’il s’attelle à condamner sans appel l’accumulation de richesses et qu’il vilipende – n’en déplaise à l’église et au Vatican corrompu – les classes aisées  : « Malheur à vous les riches ! » Lc VI, 24 ; « Il est plus aisé pour un chameau d’entrer par le trou d’une aiguille, que pour un riche d’entrer dans le royaume de Dieu » Mc X, 25 ; « Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent » Mt VI, 24 ou encore « Gardez-vous avec soin de toute soif de posséder » Lc XII, 15. C’est dans l’épître de Jacques, un peu plus loin dans le NT, que se trouve la contribution la plus véhémente à cette rhétorique éminemment politique, mettant en lumière un antagonisme de classe de circonstance, mais néanmoins surprenant dans la bouche d’un Jésus de paix et d’amour. Pour preuve, les premiers versets du chapitre V de l’épître : « Eh bien, maintenant, les riches ! Pleurez, hurlez sur les malheurs qui vont vous arriver. Votre richesse est pourrie, vos vêtements sont rongés par les vers. Votre or et votre argent sont rouillés, et leur rouille témoignera contre vous : elle dévorera vos chairs » Jc V, 1-3. Pour Jacques, frère de Jésus (la coutume chrétienne, jamais avare de ré-interprétation intéressée du texte, fera de Jacques le cousin du Messie et non pas son frère, statut incommode au vu de la virginité perpétuelle de Marie), il n’y aura point de salut pour les riches qui ont « thésaurisé dans les derniers jours » et qui ont « vécu sur terre dans la mollesse et le luxe » Jc V, 3-5.

En se penchant sur l’environnement politico-religieux de la Palestine8 à l’époque de Jésus, on s’aperçoit qu’à l’inverse de la diaspora, le peuple juif d’Israël était perçu par l’Empire romain comme largement réfractaire à son pouvoir et à son occupation militaire. Et pour cause, la région était régulièrement en proie à des mouvements de rébellion initiés par des groupes de juifs radicaux qui ne pouvaient accepter qu’une puissance étrangère vienne assujettir les « enfants d’Israël » et souiller par leur présence la Terre promise. Dignes héritiers des Maccabées qui menèrent au IIe siècle avant notre ère une résistance armée contre la présence grecque en Judée, les Sicaires et après eux les Zélotes, demeurent les mouvements emblématiques de ces guerres asymétriques menées contre l’empire colonial. Issus d’une de ces innombrables poussées de fièvre messianique, les partisans du mouvement insurrectionnel zélote, dont l’apogée et le déclin sanglant se situent pendant la grande révolte juive en l’an 66 de notre ère 9 , combattirent le pouvoir romain les dagues à la main, n’hésitant pas à assassiner les juifs collaborateurs, au premier rang desquels se trouvaient les autorités politiques (les Hérodiens) mais aussi religieuses (les Sadducéens). Lorsque Jésus s’en prend verbalement mais également physiquement aux notables du Temple, notoirement corrompus par l’administration romaine, il n’y a qu’un pas pour extirper le fils de Dieu de sa neutralité politique légendaire et en faire une figure à part entière du judaïsme subversif et révolutionnaire (bien qu’incomprise et manifestement inoffensive). La thèse d’un Jésus séditieux est étayée par certains historiens peu orthodoxes avançant que la crucifixion chez les Romains servait à mater les révoltes d’esclaves, en sanctionnant spécifiquement « l’incitation à la rébellion ».



8/ Alors que Palestine était le terme romain pour désigner le territoire comprenant Israël, la Palestine, la Jordanie, la Syrie et le Liban actuels du vivant de Jésus, ce fut seulement quand les Romains écrasèrent la révolte juive dite de Bar Kochba (voir le chapitre sur les origines du christianisme) au milieu du IIe siècle de notre ère que la région prit officiellement le nom de Syria-Palaestina.
9/ « La liberté ou la mort » crièrent les survivants des Zélotes du haut de la forteresse de Massada, avant de se jeter dans le vide, alors qu’ils étaient assiégés par les Romains depuis plus d’une année. Mais, alors que les récentes découvertes archéologiques infirment la thèse d’un suicide collectif, on est en droit d’assimiler l’épisode de Massada à la construction d’un mythe servant une idéologie.


Jésus déjudaïsé

« Vous êtes du diable, votre père. »
Jésus s’adressant aux juifs, selon Jean VIII, 44

Entre le Jésus historique, c’est à dire l’individu qu’il aurait pu être autant que celui qu’il ne pouvait être, et le Christ, figure théologique transformant un juif somme toute ordinaire en fils de Dieu et en Dieu lui-même, il y a un long processus de dépouillement graduel, de ré-interprétation éhontée du message prophétique par les premiers chrétiens, lesquels ne furent en aucun cas des contemporains de leur Messie. Au regard des us et coutumes des communautés juives antiques, il est impensable que Jésus ait voulu créer une nouvelle religion, tout au plus voulait-il épurer celle qui l’avait vu naître, en l’occurrence le judaïsme. Non seulement Jésus n’a jamais cessé d’être juif, mais lui et ses apôtres s’évertuaient à observer la Loi mosaïque de manière très stricte, stigmatisant parfois violemment ceux de leur coreligionnaires – visiblement nombreux – qui se permettaient quelques entorses avec les préceptes des Saintes écritures. En cela, le groupe de galiléens s’apparentait moins à une secte déifiant un maître dont la mission aurait été d’abolir la Loi, qu’à un courant minoritaire et rigoriste du judaïsme venu accomplir la Torah.

Or, dans les Évangiles canoniques – on rappelle que ses auteurs sont des goys ou des juifs hellénophones urbanisés, finalement très éloignés de la réalité socio-religieuse de Jésus et de ses apôtres – on observe une montée crescendo vers des positions judéophobes visant en premier lieu les autorités sacerdotales qui officient dans le Temple de Jérusalem, lieu saint et incontournable du judaïsme pré-rabbinique 10. Dans les nombreuses allusions critiquant les Sadducéens, la noblesse sacerdotale, et les Pharisiens, ces rabbins très pieux, la parabole du Bon Samaritain est symptomatique de ces positions assurément antijudaïques. C’est Luc, un docteur non juif, qui nous relate l’histoire d’un voyageur détroussé et laissé pour mort par des bandits, à côté duquel passent un prêtre et un Lévite, tous deux juifs, sans qu’ils ne daignent venir en aide au malheureux agonisant. Celui-ci devra finalement son salut à un Samaritain bienveillant (ce qui n’était pas encore un pléonasme), capable de compassion envers un inconnu, avec lequel il ne partage pas la même religion (Lc X, 30-35). Bien que les Samaritains 11, habitants de la Samarie au nord d’Israël, s’autoproclament descendants des Hébreux et respectueux de la Loi mosaïque, ils ne furent pas toujours considérés comme juifs par le rabbinat. Ils récusent par ailleurs la centralité religieuse de Jérusalem et de son Temple, ce qui leur vaut d’être allègrement détestés par les juifs orthodoxes. En résumé, l’épisode du Bon Samaritain insiste moins sur l’importance de venir en aide aux personnes en détresse, que sur la non-judéité du secouriste conjugué à l’ignominie des deux prêtres juifs.

Un autre exemple troublant de la défiance néotestamentaire à l’égard du judaïsme, se trouve dans la datation de la mort de Jésus, différente d’un Évangile à un autre, mais qui survient en revanche systématiquement à la veille du sabbat, rendant cette fête juive maudite. En outre, les Évangiles tendent de façon plus ou moins subtile, à rendre responsable les juifs ou du moins les prêtres, de la condamnation à mort de Jésus. En la matière, l’Évangile attribué à Jean, est sans aucun doute le plus judéophobe des quatre, en cela qu’il pousse à son point le plus achevé la notion de l’innocence de Ponce Pilate 12, au détriment de la culpabilité des juifs. Le préfet de Judée, qui gouvernait la région d’une main de fer et réprimait volontiers de façon sanglante les révoltes juives, aurait cette fois-ci succombé à une crise de mansuétude aiguë en proposant de gracier un infortuné paysan juif, injurié par la foule, non qu’il le jugeait innocent, mais parce qu’il semblait croire à la divinité de l’énigmatique pouilleux. L’apogée de cette farce grossière, tout de même à l’origine du mythe antisémite d’un peuple déicide, se situe dans cette citation délirante mais sans équivoque : « Vous avez pour père le diable » Jn VIII, 44, qui, selon Jean, fabulateur sans vergogne, aurait été prononcé par Jésus à l’adresse de ses coreligionnaires. L’art de l’interpolation associé à celui de faire l’Histoire, viennent servir la toute puissance du dogme chrétien.



10/ Depuis 70 après J-C, date de la destruction du second Temple par les Romains, le judaïsme rabbinique est le courant majoritaire du judaïsme. Héritier spirituel des Pharisiens, le rabbinat donne une importance prépondérante à la Loi orale – le Talmud – et s’affranchit du Temple, des sacrifices et du territoire.
11/ On trouve aujourd’hui encore des Samaritains en Israël et en Cisjordanie, mais leur communauté, qui ne compte plus que quelques centaines d’individus, est sérieusement menacée par la consanguinité et la dégénérescence du fait des unions intracommunautaires ancestrales. Trop bon, trop con ! Notons tout de même que dans l’histoire du judaïsme, les Samaritains sont assimilés à la perfidie, pour avoir accepté que le Talmud soit détruit.
12/ C’est de ce passage que vient l’expression « s’en laver les mains » : « Pilate…prit de l’eau, se lava les mains en présence de la foule, et dit  : Je suis innocent du sang de ce juste. Cela vous regarde. » Mt XXVII, 24.


Paul, l’usurpateur misogyne

« Que vos femmes se taisent dans les assemblées »
1Co XIV, 34

C’est dans les Actes des Apôtres attribué à Luc, que l’on découvre le personnage de Paul, figure essentielle et pierre angulaire de l’histoire du christianisme. Les Actes précèdent les treize épîtres dont Paul est sensément l’auteur (les exégètes chrétiens eux-mêmes n’osent plus affirmer que ces treize lettres soient l’œuvre d’un seul et même individu). Plus de la moitié des 27 livres du NT viendrait donc de Paul, ou serait à son propos, preuve de l’importance idéologique et fondatrice que les compilateurs du NT ont conféré à ses écrits. Pour comprendre le rôle de Paul dans la création de la nouvelle religion et de son expansion en dehors de Palestine, il convient de revenir sur les premières discordes parfois marquées de pugilat, survenues entre les disciples de Jésus, comme cela a été décrit par Luc dans les Actes des Apôtres.

Dans les années qui suivent la crucifixion du Christ, ses fidèles, initialement composé des 12 apôtres galiléens réussissent – alors qu’ils sont mis au ban par l’orthodoxie juive – à s’élargir à des juifs ne vivant pas en terre d’Israël, puis à des païens convertis, qui tous avaient eu l’opportunité de recevoir la « bonne nouvelle », celle qui fit de Jésus ressuscité le messie tant espéré. Or, les différences culturelles, sociales et linguistiques entre les judéo-chrétiens d’Israël et leurs nouvelles recrues, allaient être déterminantes dans l’émergence de deux courants contraires – ayant des interprétations du discours christique diamétralement opposées – au sein de la petite communauté paléochrétienne. On distingue donc d’un côté le groupe des douze, appelés les « Hébreux » bien que s’exprimant en araméen, très attachés à la stricte observance du judaïsme et témoins oculaires de Jésus, et de l’autre les disciples dits « Hellénistes » (au nombre de sept) de langue grecque et n’ayant rencontré Jésus au mieux, que ressuscité et qui voulaient évangéliser les païens à n’importe quel prix, quitte à bafouer la Loi. Les « Hellénistes » se rendirent vite compte que leur entreprise prosélyte ne pouvait réussir dans le cadre strict et rigoureux qu’offraient les commandements de la Torah en matière de conversion. Lorsque de nouveaux adeptes d’origine païenne ont voulu intégrer la secte juive 13, les querelles se sont cristallisées autour de la question essentielle posant la pertinence de la circoncision et des interdits alimentaires, théoriquement incontournables pour les aspirants judéo-chrétiens (ce qui à ce moment là, voulait avant tout dire juif). Alors qu’il était impensable pour les « Hébreux » d’accepter parmi eux des non-circoncis et encore moins de partager la table avec ceux qui ne mangeaient pas casher, les « Hellénistes » quant à eux, firent le choix de s’affranchir des contraintes imposées par le Temple et le culte juif, afin de convertir en masse et sans entrave. Bientôt, les émules de ces derniers (dont le plus mémorable demeure Paul), allaient soutenir sans sourciller que Jésus n’était pas venu accomplir la Loi, mais l’abolir, invalidant de ce fait la Torah, et dépouillant définitivement le message christique de son essence juive.

Avant sa conversion au judéo-christianisme, Paul, originaire de Tarse dans la Turquie actuelle, portait un nom juif Saül, et pourchassait les partisans de Jésus avec une pugnacité extrême. Luc, pourtant grand admirateur de cet ancien persécuteur de l’église, dira de lui qu’il « respirait la menace et le crime » Ac IX, 1. C’est sur le chemin de Damas où il allait traquer ses futurs camarades, que Paul tomba nez à nez avec le Christ ressuscité, ce qui changea fondamentalement le cours de sa vie, et probablement celui de l’Histoire. Prenant ses songes pour réalité, Paul devint un zélateur farouche de la « religion de l’amour », au point de renier sans ambages son ancienne foi. Membre emblématique et à l’occasion violent du courant « Helléniste » (les « Hébreux » se souviennent encore de ses bourre-pifs !), il contribua plus qu’un autre à débarrasser les éléments juifs de la nouvelle croyance qui, en changeant profondément de nature, allait pouvoir essaimer avec le succès que l’on sait hors des frontières réductrices de la « terre d’Israël ». Pour ce faire, la rhétorique paulinienne n’hésite pas à réhabiliter les « incirconcis », et à affirmer que le concept de peuple élu ne se réduit pas qu’aux seuls Israélites, en présentant les pagano-chrétiens comme descendants légitimes d’Abraham. En somme, il s’acharne à supplanter « l’Israël de la chair » par le plus commode car plus universel « Israël de l’esprit ».

Alors que le canal historique des judéo-chrétiens – marginalisé à la fois par le judaïsme et le christianisme – disparaîtra de façon inexorable (il n’y a guère de trace du noyau fondateur ou de ses héritiers à l’aube du IIe siècle), les « Hellénistes » ou pagano-chrétiens s’apprêtaient à faire rentrer leur culte dans une ère nouvelle. Auto-investi d’une mission d’évangélisation, Paul entreprit d’incessants voyages sur le pourtour méditerranéen, afin de constituer des communautés de fidèles – c’est à dire des églises 14 – avec lesquelles il ne manquera pas de correspondre pour leur prodiguer ses conseils doctrinaux.

Le tour de force majeur de la propagande paulinienne se situe probablement dans son rapport de neutralité vis-à-vis du pouvoir politique. Là où les Évangiles et en particulier celui de Matthieu délivrent un message porteur d’une certaine violence, Paul, en bon persécuteur repenti et démagogue accompli, ne cessera de prôner la soumission et de prier pour les autorités politiques, encore foncièrement païennes à cette époque et bientôt répressives envers les chrétiens. « Que chacun se soumette aux autorités qui nous gouvernent, car toute autorité vient de Dieu » Ro XIII, 1, « Esclaves, obéissez en tout à vos maîtres terrestres » 1 Co III, 22, « Frères et sœurs, que chacun reste devant Dieu dans la condition qui était la sienne lorsqu’il a été appelé » 1 Co VII, 24. L’Empire n’avait que peu d’égard à l’endroit des partisans du Christ, du moins jusqu’au IVe siècle, et il se montrera particulièrement peu réceptif à la flagornerie de Paul, qui finira à ce qu’on dit, décapité à Rome aux alentours de l’an 70 de notre ère, en raison de ses activités prosélytes.

Non content d’être le chantre de la pacification sociale en ordonnant aux pauvres d’accepter leurs conditions jusqu’au jugement dernier, Paul, s’échinera à cantonner la femme à un statut secondaire, si ce n’est insignifiant. Il stipulera dans ses épîtres que les femmes doivent se taire dans les assemblées, leur imposera le port du voile, faisant de leur soumission un devoir. Alors que les Évangiles restent plus nuancés à cet égard, la première lettre aux Corinthiens nous donne un aperçu éloquent de toute la misogynie du propagandiste forcené : « Le chef de la femme, c’est l’homme », « Toute femme qui prie ou prophétise sans couvre–chef fait affront à son maître », « Si la femme ne porte pas de voile, qu’elle se fasse tondre », « L’homme n’a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l’homme » ou « La femme doit porter sur la tête un signe d’autorité » 1 Co XI, 3-10. En outre, le moraliste anatolien aurait tort de vouloir se démarquer de la Torah, tant il lui emprunte une animosité profonde à l’encontre des adultères, des idolâtres, des travestis, des homosexuels, des voleurs, des ivrognes mais également envers les exploiteurs. Notez que ces derniers auront le mieux su se faire oublier de la vindicte chrétienne – et c’est peu de le dire – durant les deux millénaires nous séparant de la rédaction des épîtres.

Au vu des raisons invoquées précédemment, il n’est en définitive pas illogique de désigner « l’avorton de Dieu » 1 Co XV, 8, comme le véritable fondateur du christianisme, tant par l’élan universaliste qu’il lui a insufflé, que par ses treize épîtres, qui constitueront bientôt l’essentiel du corpus théologique de la nouvelle religion.



13/ Aujourd’hui, le terme de prosélyte définit quelqu’un qui cherche à convertir. À l’origine, ce mot désignait un païen converti au judaïsme, puis par extension au catholicisme.
14/ église vient du latin ecclésia, issu du grec ekklesia voulant dire assemblée, communauté, ce qui est le même sens pour synagogue.


L’Apocalypse

« Ils revinrent à la vie et ils régnèrent avec Christ pendant 1000 ans. »
Apocalypse XX, 4

Ultime livre de la Bible, l’Apocalypse, la révélation ou le dévoilement selon son étymologie grecque, tient une place toute particulière au sein du NT, autant par son style énigmatique et théâtral, que par ses visions eschatologiques, son scénario de la fin des temps. Composé vers la fin du Ier siècle par un dénommé Jean, l’Apocalypse s’inscrit dans un genre littéraire initié par les juifs au lendemain de l’exil babylonien et dont les références à l’AT abondent (Daniel, Zacharie, Ézéchiel…). De type ésotérique ou mystique avec un goût prononcé pour la métaphore, cette œuvre judéo-chrétienne livre ses espérances messianiques en prophétisant le retour imminent du Christ, révélation qui marquera la fin du monde et l’avènement du royaume de Dieu. « Le soleil devint noir comme un sac de crin, la lune entière devint comme du sang, et les étoiles du ciel tombèrent sur la terre. » Ap VI, 12. Excepté pour les mécréants qui finiront sous le glaive rédempteur des quatre cavaliers de l’Apocalypse, personnages célestes effrayants, l’Apocalypse s’apparente pour les premiers chrétiens à une espérance profonde et infaillible du retour de leur messie sur Terre. Aspect incontournable du christianisme primitif 15, le concept théologique de la parousie, autrement dit la seconde venue (après sa naissance) de Jésus sur le plancher des vaches, a aujourd’hui quasiment disparu de la dialectique ecclésiastique. Et pour cause, le phénomène galiléen n’a toujours pas daigné montrer sa trombine patibulaire aux yeux chassieux de la chrétienté !

L’Apocalypse présente une spécificité rare pour un texte du NT, celle de s’attaquer au pouvoir politique, prenant le contre-pied des tendances courtisanes de Paul. L’auteur de l’Apocalypse compare Rome l’impie à Babylone, la cité du Mal et de la tromperie personnifiée, qui porte le nom malvenu de « grande prostituée » Ap XVII, 1. Le système politique – ici le paganisme romain persécuteur des premiers chrétiens, et honni parce qu’il s’oppose au pouvoir de Dieu – prend les traits d’un monstre satanique à sept têtes et dix cornes et dont la marque 666 est le symbole de la Bête, de l’Antéchrist. On comprend alors pourquoi l’Apocalypse et ses allégories subversives ont tant inspiré les mouvements millénaristes qui, en croyant ardemment au millénium terrestre, secouèrent le joug sous lequel ils étaient asservis.



15/ À l’image de Paul préconisant aux hommes de ne pas prendre de femmes ou des collectivistes esséniens dont serait issu Jean-Baptiste, de nombreux fidèles du judéo-christianisme antique, pratiquaient l’abstinence sexuelle car il était évident à leurs yeux qu’ils seraient témoins du règne bouleversant de Dieu sur Terre.


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